Chapitre 33 ✅

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Télio

Aussitôt les deux pieds posés au sol du village, j'avais abandonné Miö et étais parti de mon côté. Je n'y tenais plus ; j'avais besoin de me confier, et avec Miö, c'était hors de question. Si je lui parlais de mon problème, je ne ferais que le contaminer. Il avait - il était - le même problème que moi.

Arrivé à la maison, je m'y engouffrai et allai m'assoir sur le canapé. Je pris une grande inspiration, essayant de retrouver quelques idées claires et fus surpris, pendant un instant, de l'endroit qu'avait choisi mon subconscient. J'avais prévu d'aller chez Shell... mais j'étais chez moi. Ou plutôt, chez ma mère.

— Télio ? entendis-je depuis la pièce voisine. C'est toi ?

Je fermai les yeux en grimaçant ; trop tard pour reculer.

— Oui, c'est moi.

Une drôle de sensation m'envahit alors que je prononçais le mot « moi ». Qu'est-ce que « moi » était censé vouloir dire, au juste ?

À ne pas connaitre mes parents biologiques, j'avais toujours imaginé que c'était deux personnes qui s'aimaient, mais que la guerre avait séparées. Tout simplement ; je n'étais pas le seul orphelin du village, de toute façon.

C'est vrai, je n'étais pas comme n'importe qui, du fait que j'arrivais à me transformer en hibou. Mais je n'avais pas vraiment cherché à savoir pourquoi je pouvais le faire. Je voyais plutôt ça comme des gênes chanceux. Après tout, dans mon village, pratiquement tout le monde avait un petit quelque chose d'anormal dans le physique. Ma mère était l'une des rares à ne rien avoir de particulier, mais en contrepartie, elle était continuellement malade.

Ma mère arriva dans le salon, s'arrêta un instant dans l'entrée comme pour vérifier que j'étais vraiment là, puis poussa un soupir de soulagement. La dernière fois que je lui avais rendu visite, c'était il y a au moins trois semaines, quand elle avait la grippe - la même qui avait contaminé Miö. Maintenant, elle semblait en pleine forte, mais je savais que ça n'allait pas durer. Ça ne durait jamais bien longtemps.

— Je suis contente de te voir, Télio !

Je souris timidement, les yeux fixés au vide devant moi. En quoi pouvait-elle être contente de me voir, moi ? J'existais en quarante exemplaires.

— Télio ? dit-elle en s'avançant un peu vers moi. Tu vas bien ?

Je hochai lentement la tête, arrêtai, puis la secouai de gauche à droite. Je préférais être franc, pour une fois. J'en avais besoin.

Intriguée, ma mère vint s'assoir à côté de moi sur le canapé. Elle posa timidement une main sur mon épaule - j'avais plutôt l'habitude de refuser les contacts physiques au maximum avec elle, justement car elle était tout le temps malade. Mais cette fois, je me laissai tomber contre elle. Et sans pouvoir me retenir une seconde de plus, j'explosai en sanglot. Je cachai mon visage derrière mes doigts, honteux, et ma mère me serra contre elle. Elle se mit à fredonner une berceuse, celle-là même qu'elle me chantait pour m'endormir le soir ou me réconforter dans les tempêtes - avant, j'avais une peur bleue des orages. Maintenant, j'arrivais presque toujours à m'empêcher de pleurer, et ça, c'est de très gros progrès. Mais je savais que Miö aussi avait peur des orages et ce point commun - un parmi tant d'autres - me fit chialer deux fois plus fort.

Hier encore, avoir un jumeau me réconfortait. J'avais été tout ce qu'il y a de plus cruel avec Miö ; je lui avais pris sa place, sa vie, j'avais couché avec sa petite amie, j'avais même - indirectement - tué son docteur. Mais dans le fond, j'aimais bien Miö. J'aimais l'idée de ne jamais être seul. Et j'aimais le fait de ne pas être totalement unique, d'avoir quelqu'un qui me ressemble, qui vient de ma famille.

Miö (En Réécriture)Where stories live. Discover now