Chapitre 16 ✅

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— Et pourquoi tu ne passerais pas par la fenêtre ?

L'homme leva le doigt vers la fenêtre en question, à trois mètres du sol. Il voulait que je me transforme. Mais je n'avais plus de combinaison, et me transformer impliquait de me foutre à nue devant lui, ou du moins en partie. Et lui montrer mes cicatrices.

— Je peux pas faire ça, dis-je dans un souffle.

Un coup de tonnerre retentit, assourdissant. Je sursautai en plaquant mes mains sur mes oreilles, essayant de calmer les battements de mon cœur. J'avais peur des tempêtes, c'était plus fort que moi. Avec mon ouïe, les simples grondements provenant d'une dizaine de kilomètres me donnaient l'effet d'être directement au-dessus de ma tête. Et j'avais peur également de faire une nouvelle crise de panique. Je m'efforçai de reprendre mon souffle, puis levai des yeux suppliants vers l'homme.

— Ouvrez la porte !

Il dut comprendre mon angoisse, ou peut-être qu'il connaissait mes peurs - sans me vanter, j'étais bien une petite célébrité dans cette cité -, mais il consentit enfin à la défoncer d'un coup de pied. Je me précipitai à l'intérieur et m'appuyai contre un mur, respirant du mieux que je le pouvais. J'aurais tout donné pour avoir un sac en papier.

Robbie posa sa main sur mon épaule, et je passai la manche de mon sweat sur mon front couvert de sueur.

— Ça va, Miö ? Tu vas bien ?

— Oui, je vais... à peu près bien, marmonnai-je.

Sans m'éterniser, je me précipitai dans l'escalier devant moi, souhaitant en finir le plus tôt possible. Robbie me suivit à la trace, jusqu'à ce que je sois arrivé à la porte numéro trente-deux du troisième étage. Je frappai frénétiquement contre le battant, mon cœur pulsant au même rythme. Après une bonne dizaine de secondes, l'homme me poussa d'une main sur le bras et s'approcha à son tour de la porte :

— Cynthia, ouvrez-nous, je vous prie.

Un nouveau coup de tonnerre retentit, me faisant sursauter. Je commençai à regretter d'être sorti de ma chambre du sixième étage. J'aurais dû attendre demain. Mais ensuite, j'aurais certainement encore regretté mon choix, de toute façon.

La porte s'ouvrit sur Cynthia, qui nous observa tour à tour. Son regard s'arrêta sur moi et ses yeux s'écarquillèrent, et je sus aussitôt ce que ça voulait dire. Télio était ici.

— Il est où, le salaud qui se fait passer pour moi ?

Cynthia ne répondit rien, sous le choc. Je me faufilai sous son bras pour entrer dans l'appartement, suivi par elle et le garde. Je traversai rapidement le petit salon et arrivai à la salle à manger. Et là, assieds à la table, il y avait Télio, nous tournant le dos. Il tenait des cartes à jouer, vérifiant ses paires.

— Télio ! dis-je de ma voix la plus menaçante.

Télio sursauta en se retournant, cachant ses cartes contre lui. Ses yeux s'écarquillèrent de la même façon que Cynthia un peu plus tôt.

— Toi ! s'écria-t-il en se levant d'un bon. Qu'est-ce que tu fais ici ?!

— C'est toi qui es chez moi ! Je veux que tu partes tout de suite !

— Quoi ? Mais... je suis chez moi ! C'est à toi de foutre le camp, voleur !

J'en restai sans voix devant son culot. Il était vraiment en train de retourner la situation à son avantage. Télio éclata d'un rire moqueur, avant de se reprendre et me pointer du doigt :

— Je vois clair dans ton jeu ! Tu veux prendre ma place ici pour vivre tranquillement, loin de la misère de ton petit village ! Ça ne marchera pas, je t'assure !

— Mais tu dis n'importe quoi ! C'est toi, le voleur ! Tu es Télio, et Miö, c'est moi !

Télio leva les bras au ciel, désespéré, et lança un regard de détresse vers les deux autres qui nous observaient, sans trop savoir quoi faire. Ils semblaient tous les deux hypnotisés par notre ressemblance.

— Toi, dit l'homme en me pointant du doigt, s'il y a bien une chose que le vrai Miö sait faire, c'est de se métamorphoser en chauvesouris. Fais-le, et on sera fixé !

— Oui, Télio, retire ton sweat ! dit Télio en me lançant un regard à la fois menaçant et amusé.

Je me figeai, voyant exactement où il voulait en venir. Ce n'était pas pour que je me transforme et prouve à tout le monde que j'étais bien moi, le problème. C'était mes cicatrices. Cynthia et Télio étaient déjà au courant, et ça ne pourrait que confirmer que j'étais bien moi. Mais cet homme ? J'avais cherché du renfort, mais en fin de compte, il ne saurait que donner les points à la mauvaise personne. Montrer mes cicatrices, c'était avouer ce que Jeremy m'avait fait durant toutes ces années. Il était mort, alors qu'est-ce que ça pouvait faire ? Mais étrangement, ça me dérangeait encore plus. Je ne pouvais pas faire ça à sa mémoire.

J'avais attendu trop longtemps. L'homme fonça vers moi, m'attrapa par les bras et les tordit derrière mon dos, m'arrachant un cri de douleur.

— Comme ça, on se fait passer pour quelqu'un d'autre ? dit-il en m'entrainant avec lui en dehors de l'appartement.

— Non, attends ! m'écriai-je, essayant de me dégager, en vain. Je vous jure que c'est moi !

— Tais-toi, espèce de traitre...

Il me tordit les bras un peu plus fort, me forçant à serrer les dents. Il me fit descendre les escaliers alors que le tonnerre frappait encore une fois. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine, et la lumière s'éteignit d'un seul coup, nous plongeant dans le noir.

— Vous n'allez pas me faire sortir sous ce temps, quand même ? Hé, je vous aurais pas demandé de me suivre si j'avais été le menteur !

— Si t'avais été le vrai Miö, tu te serais transformé.

Je secouai la tête, à court de mots. Si Télio n'avait pas jeté ma combinaison à la poubelle, je l'aurais fait sans hésiter. Peut-être même que ce geste avait été calculé dans son plan.

Robbie m'entraina dehors, sous la pluie. Les nuages étaient d'un noir d'encre, on n'y voyait presque plus rien. Les derniers piétons couraient en tous sens pour se réfugier. Je baissai la tête, essayant de trouver une idée, mais rien ne me venait.

Télio ne mangeait pas de fruits comme moi ; le hibou en lui était un carnivore. J'aurais pu le mettre au défi d'avaler un fruit, mais il n'y avait pas de nourriture dans notre appartement ; tout provenait des restaurants. C'était une précaution pour que tout le monde ait ce dont il a besoin, pas plus, pas moins.

J'aurais pu lancer un souvenir que je partageais avec Cynthia. Mais je n'en avais pratiquement aucun. Je n'étais jamais avec elle, sauf en de très rares occasions où il ne se passait rien. Et le fait que Télio jouait aux cartes avec elle... déjà là, il avait probablement passé plus de temps avec elle dans cette semaine que moi en six mois.

La pluie commençait à me bruler la peau. Elle était acide, c'était pire que se faire arroser par du vinaigre.

— On peut pas rester dehors !

— Ferme-la !

L'homme continua de m'entrainer à travers la ville, moitié marchant rapidement, moitié en courant, jusqu'à ce que nous fûmes arrivés à destination. Mon cœur rata un battement quand je compris où il m'avait emmené ; l'une des portes du mur délimitant la cité. Robbie fit signe à deux autres gardes, tout en haut des deux tours entourant l'entrée.

— Tu ne vas pas me mettre dehors, par ce temps en plus ! dis-je, commençant à avoir de la difficulté à respirer - je sentais la crise plus trop loin.

— Tu vas retourner chez toi. C'est pas si grave que ça, non ?

— Non... je vous jure que c'est moi, Miö !

Les larmes coulèrent pour de bon alors que je me débattais pour lui échapper. Mais il était plus fort que moi et parvint à me retenir, me tordant un peu plus les bras. Les portes devant nous s'ouvrirent juste assez pour laisser passer une personne. Robbie me poussa dans le dos, et je n'eus d'autre choix que de traverser l'ouverture, qui se referma derrière moi.

Miö (En Réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant