Chapitre 12 ✅

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— Mais nous on va mourir de faim, de toute façon.

— Non, pas si on a de l'eau, dit Jeremy en secouant la tête et baissant les yeux. On peut tenir un mois.

— Un mois sans manger ?! m'écriai-je.

— Mais on a besoin que d'une semaine.

— Et pourquoi on ne peut pas au moins sortir de la salle de bain ? Dans la chambre, déjà, ce serait plus confortable. Et pourquoi tu ne mettrais pas un drap devant ta bouche en guise de masque ? Tu pourrais demander à ta secrétaire de faire passer le message à quelqu'un de la ligue. Ils sont bien là pour nous aider, on n'est pas obligés de tout faire nous-mêmes !

— T'as un bon point, soupira Jeremy. Je pourrais faire ça. Le seul problème est que j'ai déjà essayé d'ouvrir la porte, et je n'ai pas réussi. Télio l'a surement bloquée avec quelque chose. Tu vois, quand je disais que je pourrais sortir, ce n'était qu'une mise en situation.

Je fermai les yeux, m'appuyant la tête contre le mur, laissant aller un petit gémissement d'impuissance. Et dire que j'étais chargé d'arrêter Télio, et qu'en fin de compte, c'était lui qui m'avait enfermé !

— On ne peut vraiment rien faire ?

— On peut attendre que quelqu'un nous trouve. Tu passes plutôt inaperçu, disons que c'est assez commun que tu te retrouves ici ; personne ne viendrait à penser qu'il y aurait quelque chose... Mais moi, on va me chercher. C'est pas pour faire mon prétentieux, mais on est bien dans mon hôpital, et je suis le seul docteur. Ils vont se rendre compte de mon absence assez vite, je n'en doute pas. Ou sinon, au cas où, je suis sûr qu'avec ton autre forme, tu serais assez petit pour passer par l'aération, dit Jeremy en levant le doigt vers la grille au plafond. Mais je sais aussi que tu ne pourras pas garder assez de concentration pour le faire tout de suite... N'essaye pas ! s'écria-t-il alors que je m'apprêtais à retirer mon pull. Économise tes forces pour guérir ! C'est le plus important, pour le moment. Sérieusement, Miö, même si tu sors maintenant, tu ne saurais jamais lui tenir tête dans ton état.

— Comment veux-tu que je « garde mon énergie pour guérir » si je ne peux plus en stocker, de l'énergie ? En mangeant ! Si je veux guérir, il faut bien que je mange, de temps en temps !

— Miö...

Je lui lançai un regard noir, et Jeremy baissa les yeux dans un soupir. Je détestais quand il disait mon nom sur ce ton ; c'était toujours pour me faire la morale, ou pour me parler comme si j'avais cinq ans. Et bien souvent, c'était les deux en même temps.

— Miö, on va forcément être trouvés par une infirmière... Ou Marissa, elle passe son temps à me courir après pour me rappeler qu'un patient m'attend. Elle est probablement déjà en train de me chercher partout dans la tour en criant mon nom.

— Mais elle ne viendra jamais ici, car elle fait partie du quatre-vingt-dix-neuf pour cent de la population qui a l'interdiction d'entrer dans ma chambre sauf sous ton consentement, à durée limitée. En dehors de nous deux, il y a, quoi, trois personnes qui en ont la permission ? Il y a Cynthia... et des infirmiers dont j'ai oublié le nom. Ils ne m'ont jamais parlé, de toute façon...

Jeremy laissa échapper un long et bruyant soupir avant de lâcher :

— Je leur ai aussi interdit d'entrer dans ta chambre. Puisque t'es malade. Je voulais prendre soin de toi moi-même.

— Pourquoi ? m'étonnai-je. Diminuer les risques de contagion ?

— Bah non, parce que j'en ai envie ! s'écria Jeremy en levant les bras en l'air. J'ai pas le droit ?

— Bah, généralement, quand t'as « envie de t'occuper de moi », ça se résume à m'ouvrir je ne sais quelle partie du corps.

Jeremy baissa la tête vers ses genoux repliés. Il s'écoula plusieurs minutes avant qu'il ne brise le silence, alors que je passais tout près de m'endormir.

— Je suis désolé, Miö. Vraiment. D'avoir fait de ta vie un tel calvaire. Mais j'avais...

— T'avais besoin de ces tests, je sais, dis-je platement. Je t'en veux pas. Enfin, j'essaye, avouai-je, j'essaye de t'en vouloir... mais je peux pas. Je ne sais même pas pourquoi. (Je levais les yeux vers Jeremy, qui me regardait aussi, étonné par ce que je disais.) Quand j'étais chez le roi, il m'avait demandé ce qui m'était arrivé à la jambe. Je suis passé à ça de te dénoncer. Mais je n'ai pas pu. Je sais pas, peut-être qu'au fond de moi... très, très profond... je t'aime bien.

Je baissai à nouveau les yeux, moi-même surpris par ce que j'avais dit.

— Parce que je suis le seul docteur, tout le monde me connait, dans la cité, dit Jeremy d'un ton neutre, mais la voix légèrement tremblante. Tout le monde sait qui est de ma famille. Mais si ça n'avait pas été de ça... j'avais sérieusement envisagé de t'adopter. Et je me doutais également que tu me détestais, et que tu ne voudrais plus être relié à moi. J'avais pensé que tu aurais préféré aller chez Cynthia.

— Je ne te déteste pas, Jeremy, dis-je d'une voix tout aussi tremblante que la sienne - ça me faisait étrange de dire ces mots, alors que j'avais passé des années à me convaincre du contraire. Je comprends pourquoi tu faisais ça sur moi. Je suis plus résistant, je guéris vite... j'étais le meilleur choix. Et sans famille, surtout ; je n'aurais manqué à personne, au cas où... tu m'aurais accidentellement tué.

Mon imagination avait rattrapé la réalité, et le temps que je m'en rende compte, j'en étais venu à me demander si ç'aurait été possible pour moi de voir Jeremy comme étant mon père. J'avais longtemps envisagé Stanton, mon entraineur, dans le rôle ; il fallait avouer qu'il avait plus le sens paternel, avec ses sourires pleins de fierté et ses tapes dans le dos. Mais il était ainsi avec n'importe qui. Jeremy, lui... c'était mon Jeremy. Et puis...

Ça ne s'expliquait pas. Je le voyais bien dans le rôle, voilà tout.

— T'es le pire docteur du monde, marmonnai-je. Tu m'as refilé le syndrome de Stockholm.

Jeremy se mit à rire doucement et, sans même que je comprenne pourquoi, une larme coula sur ma joue. Je m'empressai de l'essuyer, fermant les yeux pour empêcher les autres de venir. J'entendis Jeremy s'approcher de moi, mais je ne bougeai pas. Je sursautai en sentant sa main sur mon genou et je levai la tête vers lui, étonné. S'il était pour les contacts physiques, c'était toujours pour enfoncer ces doigts dans mes cheveux. Je crois qu'ils étaient particulièrement doux, et j'adorais qu'on jouait dedans. Alors ça faisait un bon mélange.

Jeremy s'assit près de moi, sa jambe touchant la mienne. Il passa son bras autour de mes épaules et m'entraina contre lui, nous coinçant dans un genre d'accolade sur le côté. Je restai totalement figé, sauf pour ma grippe qui me faisait trembler de froid alors que je mourais de chaud.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Un câlin. C'est un truc que fait un père à son fils, non ?

— Euh... j'imagine, bredouillai-je. Je sais pas.

— On va dire que oui.

Jeremy me serra plus fort contre lui et je me laissai aller, posant ma tête sur son épaule pour un peu plus de confort. Malgré moi, je sentis un sourire étirer mes lèvres - j'avais beau essayer aussi fort que possible, j'étais incapable de le retirer de mon visage.

Pour la première fois depuis longtemps, Télio m'était complètement sorti de la tête.

Miö (En Réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant