Chapitre 34

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Monsieur Freig frappe dans ses mains à plusieurs reprises, nous signalant que la fin du cours approche. Avec un soupir, je lâche mon pinceau dans le bol d'eau à ma droite, près de ma palette de peinture. Malgré mes mains pleines de couleur, j'attrape une mèche de cheveux entre mes doigts et la ramène derrière mon oreille ; tant pis pour les tâches, ce n'est pas ce qui m'importe.

Comme toujours, je suis l'une des dernières à terminer de ranger mes affaires, en traînant les pieds, juste pour passer quelques secondes de plus dans l'atelier. Il ne reste à présent plus que ma toile à rentrer dans la chambre froide, avec les autres. Cependant, lorsque je reviens auprès de mon chevalet, le professeur se trouve devant, le menton appuyé dans une main. Il semble si absorbé dans ses réflexions et dans son observation que je n'ose plus approcher, de peur de le sortir de sa torpeur.

-J'imagine qu'il doit aimer, souffle Nate en passant à côté de moi.

Je n'avais pas remarqué qu'il était toujours présent. D'un geste du menton, il me montre que monsieur Freig s'intéresse à son tour son œuvre.

-Il a demandé à ce qu'on reste, poursuit mon ami à voix basse.

A ces mots, les battements de mon cœur s'intensifient, contraignant mes poumons à accélérer leur mouvement naturel.

-Pourquoi ? murmuré-je avec étonnement.

Nate hausse une épaule, l'air soucieux. Son regard est concentré vers monsieur Freig, à quelques mètres de là ; sa respiration semble s'arrêter un instant sous le coup de l'appréhension. Le professeur d'arts est penché sur sa toile, et l'étudie avec minutie. C'est toujours angoissant et gênant, lorsqu'il fait cela. Parfois, il prend des élèves au hasard et examine leur création, avant de leur donner un verdict devant toute la classe. Points forts, points faibles, tout y passe.

Je ne sais pas si le fait qu'il nous prenne à l'écart, à la fin d'un cours, pour nous parler de nos peintures, est positif ou négatif. Et c'est ce qui me préoccupe le plus.

-Tu penses qu'il a quelque chose à nous reprocher ? chuchoté-je finalement.

Encore une fois, Nate garde le silence, se contentant de grimacer légèrement. Je cache mes mains dans mes poches afin de masquer le léger tremblement qui les agite, et attends aux côtés de mon ami le verdict de notre instituteur, fébrile.

Quand celui-ci se redresse, j'ai l'impression qu'une éternité vient de s'écouler. Il se tourne vers nous, un sourire presque imperceptible ancré sur les lèvres, avant de hocher lentement la tête.

-Vous avez quelques minutes à m'accorder, j'espère ? demande-t-il d'une voix douce.

Surpris par son ton, plus calme qu'à l'accoutumée, nous parvenons seulement à acquiescer. Monsieur Freig s'installe derrière son bureau, nous faisant ensuite signe de prendre des chaises et de nous asseoir.

-De nombreux élèves prennent chaque année l'option arts, dans ce lycée, entame-t-il. Cependant, peu d'entre eux ont un réel talent – et c'est bien dommage, car leur motivation ne manque pas. Mais vous deux... Je ne saurais pas exactement dire pour quelle raison, mais vous avez quelque chose, un petit truc qui fait que vos œuvres sont au-dessus des autres. Ce n'est pas forcément la technique, car presque tout le monde, avec de nombreuses heures d'entraînement, peut parvenir à faire un dessin potable ou à mélanger des couleurs afin de trouver la teinte parfaite.

Il s'interrompt et joue un instant avec l'extrémité de sa moustache. Nate m'adresse un regard interrogatif, alors que je hausse les épaules. Où monsieur Freig veut-il en venir ?

Mon cœur bat toujours aussi fort dans ma poitrine ; la pulsation des battements se ressent plus intensément, s'entend plus distinctement dans la pièce plongée dans le silence.

HOMELESS (Tome 1)Where stories live. Discover now