Chapitre 3

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Il faut que je regarde les horaires de bus de ce soir, avant de me rendre en ville. Cela m'étonnerait fortement que Bruce puisse me ramener, aujourd'hui. La journée a été une torture, et pourtant, ce n'était que le second jour de l'année. Je déteste cela  ; les cours qui s'enchaînent, les professeurs qui radotent les mêmes cours depuis des années...

Je resserre les pans de mon manteau autour de mes côtes alors que je descends vers le centre ville. Nous avons beau être en septembre, il ne fait que neuf degrés, dehors. La moyenne à l'année tourne à six degrés, ici, c'est pour dire, et il fait au maximum dix-sept en été.

La nuit commence à tomber lorsque j'arrive enfin au café. Bruce est déjà attablé dans un coin, un café brûlant devant le nez. Je le rejoins et me laisse tomber sur la chaise face à lui, la mine défaite.

-Alors, ces deux premières journées ? s'enquit-il après que le serveur ait pris ma commande.

-Horrible, épuisante, ennuyeuse, pire que l'enfer, énuméré-je. Oh, et sans compter qu'hier, ma mère m'a passé un savon parce que je «  ne respecte rien et traîne en ville, comme les personnes de bas rang.  » Je ne sais pas si elle a compris que je ne suis pas un animal qui doit rester en cage.

Il s'esclaffe.

-La fac, c'est beaucoup mieux, tu verras. Après tout, plus qu'une centaine de jours ici et tu pourras enfin te casser  ! A toi la liberté, les sorties et au revoir les parents.

-Sauf que tu oublies qu'au lycée, les jours s'écoulent tous à une lenteur infinie, rappelé-je. C'est ennuyeux à en mourir, et ce n'est même pas intéressant  !

-On passe tous par là, tu va survivre.

Je lève les yeux au ciel. Pour lui, c'est facile, puisqu'il étudie maintenant ce qu'il lui plaît. Mais pour moi, suivre des cours que je n'aime pas est une vraie torture digne du Moyen-Âge.

-Ne lève pas les yeux au ciel, me réprimande mon ami.

-Oui, papa, dis-je ironiquement.

Il me tire la langue, et j'éclate de rire.

Je ne connais pas depuis si longtemps Bruce, mais il est la seule personne que je peux rapprocher comme étant un ami, à présent. Depuis le soir où l'on s'est rencontrés, en réalité.

C'était au début de l'été, après une énième dispute avec mes parents à cause de l'Annonce. J'étais partie en furie, et j'avais déambulé dans les rues de Västeras jusqu'à la nuit tombée. J'avais envie d'une cigarette, mais j'étais partie sans mon paquet et mon porte-monnaie. Par hasard, je suis tombée sur Bruce au coin d'une rue, et dans un geste désespéré afin de me réchauffer, je lui ai demandé s'il pouvait me passer une clope.

Il a accepté, et même si on aurait pu s'en arrêter là, il a commencé à parler. Il est très sociable, et cela ne le dérange pas de raconter sa vie à de parfaits inconnus, comme j'ai pu le remarquer. Dans un premier temps, il m'a demandé ce que je faisais là, à cette heure-ci, mais en voyant que je ne répondais pas, il a changé de sujet et s'est mis à parler de lui.

Bruce Amler, vingt ans, première année de faculté. Poète dans l'âme, rêveur qui cherche à prendre le large. Il a rempli les vides autour de moi, petit à petit avec ses mots et sa voix chantante. Ma cigarette était terminée depuis longtemps, et pourtant je suis restée discuter avec lui de tout et de rien, de nos passions jusqu'à la société qui nous entoure.

Le lendemain, aussi par hasard, on s'est recroisés. Et depuis, on se voit régulièrement, au détour d'un café ou d'une cigarette, comme si l'on se connaissait depuis toujours. C'est étrange, la manière dont il s'est immiscé dans ma vie alors que je rejetais tout le monde autour de moi. Je ne lui ai jamais dit ce qui se passait chez moi, même s'il a deviné que tout n'était pas rose, ces temps-ci. Mais il ne saura pas ce qui se trame entre les murs de ma maison.

HOMELESS (Tome 1)Where stories live. Discover now