Chapitre 21

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Mes yeux hagards quittent leur contemplation du plafond pour se poser sur mon réveil, à côté de moi. Il affiche six heures trente tapantes, signe qu'il est temps que je me lève, que je prenne ma douche et que je me prépare à aller au lycée. Alors que cette routine émerge dans mon esprit, un soupir las expire entre mes lèvres, imageant mon manque d'entrain à l'idée de me rendre en cours.

Je n'ai réellement pas envie d'y aller. Je suis épuisée, physiquement comme mentalement. Il m'a été impossible de fermer l'œil de toute la nuit. Et je pèse mes mots : j'ai vu chaque minute couler doucement sur le radio-réveil, à travers mes yeux restés humides. Une migraine, due aux larmes versées, me vrille le crâne depuis plusieurs heures déjà.

Dans un nouveau soupir, je me redresse sur mon lit, et tous mes muscles protestent. Je suis restée si longtemps recroquevillée sur moi-même que j'ai mal au dos. Lorsque mes pieds se posent sur le sol, mon regard suit le cheminement de feuilles éparpillées à terre.

Aussitôt, si soudainement que c'en est effrayant, la colère resurgit du fond de mon cœur, semblable à une flamme ravivée par le vent qui souffle. Je serre les dents, amère, bouillonnant de l'intérieur.

-Enfoiré, grogné-je, la voix tremblante.

Je n'ai même pas de remords lorsque j'insulte mon propre père. J'agis telle une adolescente en pleine crise, mais cela m'importe peu. La colère et la rage que je ressens envers lui sont bien plus fortes que ma conscience.

Je souffle longuement, lentement, afin de me calmer, avant de me diriger vers la salle de bains. Quelques secondes plus tard, l'eau chaude coule sur mon corps courbaturé et épuisé. Cependant, elle ne m'est d'aucune aide.

Dans l'autre sens, cette fois-ci, je traverse ma chambre, habillée, sans m'occuper de ce qui gît au sol. Malgré qu'ils soient détruits, je ne peux me résoudre à jeter tous ces dessins, tous ces croquis que j'ai réalisé à l'aide de mes petites mains, de ma tête et de mon cœur.

« Tu y penseras plus tard », me forcé-je à songer en dévalant les escaliers.

Il faut que je sorte, que je parte de la maison afin d'évacuer les dernières heures de mon esprit. Je sprinte jusqu'à l'arrêt de bus, comme si m'éloigner rapidement de la demeure suffisait à calmer le flots d'images et d'émotions qui se déversent en moi. La haine que je ressens à l'encontre de mon paternel ressurgit brusquement, et je trébuche sur le trottoir, déstabilisée.

Les mots qu'il a prononcé, avec ma mère, ce sombre soir d'été, remontent toujours à la surface, nouant ma gorge sous le coup de l'émotion. A bout de souffle, je m'arrête, la tête me tournant. Je n'ai rien avalé depuis hier midi, et mon repas n'était pas fameux ; j'ai refusé de dîner, hier soir, et voilà que je viens de partir, déjà en retard, sans prendre de petit déjeuner.

Le bus tourne au coin de la rue lorsque je parviens à l'arrêt. Essoufflée, je tente de chasser mes vertiges et respire lentement. Un bâillement s'échappe de ma bouche ; la fatigue me tombe dessus sans prévenir. « Ce n'est pas le moment », songé-je.

Quand j'arrive au lycée, c'est à peine si je parviens à garder les yeux ouverts. Mes membres me semblent lourds, j'ai la bouche pâteuse et l'idée de devoir passer la journée en cours me paraît insurmontable. Cependant, les visages de Nate et Gemma me viennent en tête ; s'ils me voient dans cet état, c'est sûr et certain qu'ils s'interrogeront, qu'ils tenteront de savoir ce qui m'arrive. Or il en est hors de question.

Alors je prends une grande inspiration, m'efforce à adopter un rictus que je souhaite naturel, et marche dans le couloir la tête haute, malgré les points noirs qui dansent devant mes yeux. Ce n'est que lorsque je suis arrivée devant la salle de maths que je me laisse tomber au sol, mes forces me lâchant.

HOMELESS (Tome 1)Where stories live. Discover now