Chapitre 2 : Adossé à un arbre

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Je sors, les mains pleines de sachets et la tête remplie de souvenirs de ma rencontre de toute à l'heure. Dans les vapes, j'ai maladroitement effectué les courses et récolté les produits demandés par ma mère. 

Je trottine, regardant d'un air absent devant moi. Progressivement, je reprends mes esprits, et décide d'aller faire un tour au parc. Traînant péniblement les jambes tout en fredonnant une chanson, j'arrive finalement à destination. Je m'assieds sur la balançoire et observe mes chaussures. Seule, encore une fois: comme la plupart du temps.

 Je n'ai jamais vraiment eu une vie parfaite. Je n'ai jamais prétendu en avoir une. Mais je crois que j'aurai aimé avoir une vie un peu plus passionnante; avoir envie de me lever le matin, avoir quelqu'un qui me donne envie de me lever chaque matin. 

Je commence à me balancer doucement, tout en essayant d'écouter les battements de mon cœur malgré les grincements de la balançoire. Je laisse le vent emporter mes cheveux et mes yeux se perdre dans la contemplation du paysage et de l'incroyable verdure qui se trouve juste devant moi. Ainsi que l'homme juste devant mes yeux. Attendez, quoi? Depuis quand il est là, lui?

Il ne m'a pas encore remarqué ; je ne le discerne moi-même qu'à peine. L'inconnu observe fébrilement les alentours, en essayant de se faire discret. Je me replie inconsciemment sur moi-même, craignant d'être aperçue. C'est stupide : ce n'est pas comme si je l'épiais ou quelque chose de ce genre.

Il se tourne dans ma direction et, toujours prudent, s'approche, me permettant d'entrevoir finalement les contours de son visage. Des yeux sombres, un visage parfaitement entretenu et une expression ennuyé sur le visage. Pétrifiée, le souffle court, il me semble que le vent arrête de mouvoir mes cheveux. Il me semble que les rayons du soleil, d'un commun accord, se sont rassemblés afin de l'éclairer de leur douce lumière. Il m'aperçoit. Il me surprend à le dévisager et commence à me toiser : et j'ai l'impression d'être captivé par son regard. J'ai l'impression de bénéficier d'un peu de sa lumière. J'ai l'impression d'être spéciale.  

Et aussi surprenant que cela puisse paraître de la part de quelqu'un qui paraissait agacé et fatigué quelque minutes plus tôt, il sourit. Immédiatement, les coins de sa bouche se lèvent et forment un adorable sourire. On pourrait presque croire que je suis celle qu'il est venu rejoindre, qu'il a fait tout ça dans le seul but de me rencontrer. Il me sourit comme s'il était ravi de me voir, comme si j'étais une vieille connaissance.

C'est un sourire mignon, que je n'aurai jamais cru voir sur son visage. Lui, celui aux yeux sombres et remplies de cauchemars.

Mais voilà : je ne suis qu'une inconnue pour lui. Et ce n'est qu'un faux sourire qui m'est adressé. C'est un geste qu'on pourrait qualifier de poli ou plutôt hypocrite. Il ne ressent aucun plaisir. Il sourit parce qu'on lui a demandé de sourire à chaque inconnu à chaque coin de rue. Il le fait parce que c'est une star, et qu'on ne voudrait pas qu'il ait une mauvaise image. 

Je ne souris pas. Je le toise : il est là, devant moi, encore une fois. 

"Tu pourrais dire bonjour au lieu de sourire bizarrement" 

Il continue, pourtant : mais c'est un sourire malsain qui prend progressivement place sur son visage. Une expression dangereuse : il me toise et je me sens soudain mal à l'aise sous ses yeux. 

"Qui es-tu?"

"Aela'' je réponds immédiatement, comme si ça avait une quelconque importance, comme s'il n'allait pas oublier mon prénom juste après. ''Et toi ?"

"Tu ne me reconnais pas?" il demande en s'approchant lentement. 

"Non" ma voix tremble légèrement et ma réponse semble trop brusque. Il me fait peur. Là, aussi près de moi, avec un sourire malfaisant, ce n'est plus le garçon que j'ai bousculé tout à l'heure. 

Je me rends compte que peu importe à quel point il est célèbre, ce n'est qu'un inconnu. Qu'il est plausible qu'il me fasse du mal. Qu'il est comme n'importe qui, et que je ne parle pas aux inconnus d'habitude.

"Je dois y aller" j'articule tout en contrôlant ma voix. Je me lève de la balançoire, et aussi simplement que ça, je fuis.

Dès que je me crois hors de sa vue, je m'arrête. Je peux encore l'apercevoir d'ici. Je me repose sur un banc, le souffle court.

Les minutes passent. Et j'attends. J'attends qu'il fasse quelque chose. J'attends de voir quelque chose. 

Et puis, soudain, j'entends des gémissements, qui se transforment doucement en pleurs étouffés. 

Est-ce qu'il pleure? 

Péniblement et avec hésitation, je décide d'aller le voir. Qu'est-ce qui ne va pas avec moi ? Ce garçon n'est clairement pas normal. Et je ne suis pas folle. Mais quelque part, je sens mon coeur se tordre à l'entente de ses pleurs. Parce que, qui n'aimerait pas être réconforté quand rien ne va plus? 

J'aurai aimé avoir quelqu'un à mes côtés quand je pleurais.

Je le retrouve adossé à un arbre. Les genoux repliés et la tête sur ces derniers, il n'est pas reconnaissable. Je ne vois pas les larmes couler le long de ses joues, mais j'entends ses sanglots. Je m'approche et je m'agenouille à ses côtés. Je ne dis rien : j'aimerai le réconforter. Mais je sais que dire que tout ira bien ne change rien. Absolument rien. 

  Il pleure ; c'est un cri silencieux. 

Je m'approche doucement de lui et le serre dans mes bras, en essayant d'être le plus discrète possible. J'ai peur qu'il me rejette dans un accès de colère.

Il ne dit pas beaucoup de choses, mais je sais que c'est grave. C'est plus grave qu'un couteau dans le cœur, c'est plus grave qu'une plaie qui laisse couler beaucoup de sang. C'est grave parce que ça ne peut pas se changer en cicatrice. Ça ne veut pas se changer en cicatrice. C'est quelque chose qui ne veut pas partir, qui ne veut pas lui dire adieu, qui ne veut pas le laisser tranquille.

Ça a toujours été là : c'était un cri qui le faisait pleurnicher quand il était petit, c'est un souvenir qui le fait geindre la nuit encore. Ce n'est pas quelque chose qu'on arrête d'entendre en augmentant le son de la musique. Se boucher les oreilles ne sert à rien.

Il faut pleurer maintenant. Il faut laisser les larmes couler en même temps que la peine. Il faut apprendre à surpasser ses regrets. Il faut apprendre à se contrôler, et à contrôler les chaines qui serrent notre cœur maltraité.

Il crie, maintenant : il hurle, il implore, il supplie.

Et je supplie avec lui.

Je le sers plus fort dans mes bras.

Et quand il lève son visage, me laissant apercevoir ses yeux rouges et sa peau baigné de larmes, et me demande "Pourquoi es-tu encore là?" je laisse les larmes rouler le long de ma joue. 

"Tu peux partir, il articule à travers ses sanglots, ne t'inquiète pas pour moi. Ça ira."

Je persiste pourtant, comme une gamine. Je veux voir ses yeux. Je veux savoir. Me penchant dans le but de croiser son regard, je suis interrompue par sa voix grave et tremblotante.

"Ne me regarde pas dans les yeux." il murmure en oscillant.

Je règle ma position afin, m'installant confortablement auprès de lui, me préparant à passer une bonne partie de ma journée avec lui. 

Don't go - Jeon JungkookWhere stories live. Discover now