-Eh, debout, soufflé-je.

Il se retourne en grognant, toujours les yeux fermés.

-Bruce, il faut que je rentre chez moi. Je suis désolée de t'empêcher de dormir, mais ce serait bien que tu me ramènes.

J'ai l'impression d'agir telle une petite fille gâtée, à lui demander toujours de l'aide. Je pourrais bien prendre le bus, après tout. Si j'avais de l'argent sur moi.

-Tu dois déjà repartir ? grogne Bruce, la voix pâteuse.

-Malheureusement, oui. Mon retour en Enfer est imminent.

Le brun sourit, les paupières toujours closes, face à mon sarcasme. Ce qu'il ne sait pas, c'est qu'il s'agit réellement de l'Enfer, chez moi. Il m'est impossible de savoir comment sera l'accueil, lorsque je rentrerai, mais il risque de ne pas être chaleureux.

-On y va, dans ce cas, lâche Bruce en se levant.

La cité étudiante a beau se trouver à l'autre bout de mon quartier, le trajet me paraît trop court, ce soir. Rapidement, nous parvenons devant ma rue, et je me retrouve à sortir de la voiture, les mains tremblantes. Lorsque mon regard s'y attarde, je serre les poings afin de garder mon calme, et inspire longuement.

Je n'ai rien à craindre. Tout va bien.

-Si ça ne va pas, tu m'appelles et j'arrive de suite, c'est compris ? m'interpelle Bruce. Tu n'hésites pas une seule seconde.

-Merci, répété-je encore.

Je déteste avoir le sentiment de dépendre de quelqu'un. Tout comme je déteste le regard inquiet qui orne son visage depuis que nous sommes partis de chez lui.

-Tout ira bien, dis-je en tentant un sourire.

Je ne sais pas qui est-ce que je cherche à convaincre le plus : lui, ou moi ?

La maison est déserte lorsque j'arrive. Par chance, mes clefs étaient avec moi, dans la poche de mon jeans. Je me serais mal vue casser une vitre pour rentrer dans ma propre demeure. Je file prendre une douche brûlante, profitant du calme qui m'entoure. Qui sait, sans doute la tempête arrivera-t-elle dès l'instant où l'un de mes parents franchira le porche...

-Ivy ?

Je me fige instantanément lorsque la voix de mon père résonne dans le couloir. Coupant le jet d'eau, je sors prudemment de la douche, sans un bruit.

-Ivy, tu es rentrée ?

Il m'est impossible de discerner l'émotion qui perle dans sa voix. Peut-être est-ce parce que, justement, il n'y a aucun sentiment à deviner.

-Je suis là, lancé-je.

-Ah, très bien.

Les pas s'éloignent dans le corridor, jusqu'à descendre les marches des escaliers afin de se fondre dans le rez-de-chaussé de la maison. Il n'a même pas paru surpris ou heureux de me savoir ici. Il n'y avait pas non plus de colère ou d'amertume dans sa voix. Cela aurait été préférable, pourtant. Il n'a rien ressenti. Rien du tout.

Si mon cœur n'était pas déjà en morceaux, il aurait pu se briser un peu plus face à ce constat frappant. Mon propre père, l'homme qui m'a mise au monde, se moque de mon existence, de savoir si je vais bien ou si je suis rentrée.

Je pensais avoir tout de même un peu plus d'estime dans son cœur.

Je pince mes lèvres entre elles afin de m'empêcher de hurler de rage, avant de me sécher rapidement et d'enfiler un pyjama. Une fois dans ma chambre, je sors le sandwich que j'ai préparé en rentrant, m'installant confortablement sur mon lit pour déguster mon repas, tout en dessinant mon prochain devoir d'art.

HOMELESS (Tome 1)Where stories live. Discover now