Chapitre 22

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La marche est longue, et nous commençons tous les trois à souffrir de la faim. Nous avons décidé de marcher un peu plus de nuit et un peu moins durant la journée, depuis que nous avons vu une patrouille d'effacés en jeep. Je n'ai pu m'empêcher de réprimer un frisson en repensant à mon père adoptif. Et s'il essayait de nous poursuivre d'un moyen ou d'un autre ? Mais je me suis vite souvenue qu'il ne devait pas sortir de la coupole très souvent en tant que personne gradée. Et au fond, même si cette idée me rend furieuse, j'espère vraiment qu'il s'occupe à présent de maman et de Zéra comme il me l'avait si bien fait comprendre.

Ce matin je marche dans l'herbe haute en savourant la sensation agréable qu'elle me procure. Je me suis mise pieds nus, mes chaussures à la main, et je sens la rosée fraîche se déposer sur mes orteils au fur et à mesure, mouillant le bas de mon pantalon. Je marche, je cours, je pourrais faire ça des heures. Au bout d'un moment, on arrive à une descente. Je jette un coup d'œil malicieux aux frères et sœurs et me laisse rouler jusqu'en bas, démarrant une course. Je finis ma descente avec le tournis et les coudes verts, mais je me sens plus heureuse et vivante que jamais.

Au bout d'un certain temps, le ciel bleu prend une couleur sombre et la lumière du soleil disparaît derrière d'épais nuages noirs. Je regarde tout ça avec inquiétude, il ne pleut pas dans les villes sous coupoles. Mais mes compagnons de route n'ont pas l'air inquiet, ce qui me rassure. En revanche, ils avancent plus vite et entrent dans la forêt, à l'abri des arbres. Une goutte s'écrase soudain sur ma main, suivie de centaines d'autres arrêtées par les branches au-dessus de nos têtes. Je mets quelques instants à observer ce qu'il se passe d'un air émerveillé, puis je me mets à rire. J'ouvre grand les bras et tourne sur moi-même sous le déluge qui se déverse du ciel. Au bout d'un moment, j'entends Abiya m'appeler et me dire de la rejoindre. Son frère part non loin de là et va se cacher derrière des arbres à proximité. Je comprends soudain ce qu'ils font lorsqu'elle ôte ses couches de vêtements chauds et les accroche sur une branche. Puis elle se rince le corps avec énergie, faisant partir toute la crasse qui s'est accumulée sur nous les derniers jours. Évidemment, cela fait déjà quelques temps que nous marchons, et à part notre baignade dans le ruisseau nous n'avons pas eu l'occasion de nous laver. La pluie est si forte qu'elle peut servir de douche. Alors je l'imite en grelottant, n'appréciant pas vraiment ce moment glacial. Après tout, mon corps est en train de redevenir comme « avant », avant mon engagement chez les effacés. Avant les bons petits plats de la cantine. Alors plus rien ne me protège du froid maintenant.

Quand nous avons terminé et que la pluie a un peu cessé, nous partons nous réfugier sous un aplomb rocheux pour sécher petit à petit, devant un feu fait à la va vite. Tequoa garde une sorte de petite liasse de feuilles à feu à sa ceinture, ce que je trouve très utile pour le coup. Je regarde les gouttes tomber devant nous et s'écraser sur la terre boueuse. De grandes flaques jonchent le sol et les plantes sont en mouvement à cause des gouttes qui les font ployer.

– Tu n'as jamais vu de pluie, n'est-ce pas ?

La voix d'Abiya me sort soudainement de ma contemplation.

– Non. La coupole empêche la pluie et le vent de passer.

Elle reste silencieuse pendant plusieurs minutes, comme perdue dans ses pensées.

– Qui est le garçon qui t'a aidé à sortir ? C'était évident que vous étiez de mèche.

Je frémis à ces mots. Sans doute parce que mes sauveurs pourraient être exécutés pour traîtrise si quelqu'un apprend ce qu'ils ont fait pour m'aider. Or, je ne serai pas là pour leur rendre la pareille si une telle chose se produisait, je ne suis même pas sûre de les revoir un jour.

– Ne t'en fais pas. Je l'ai remarqué uniquement parce-que ça faisait déjà quelques jours qu'on t'observait. Alors, c'est qui ? Ton fiancé ? Plaisante l'adolescente avec un sourire narquois.

Nucléaires 1 : EffacéeWhere stories live. Discover now