Chapitre 3

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Sur le chemin retour, j'ai la tête basse et le cœur lourd. Je m'arrête quelques instants devant notre toute petite maison pour la regarder, elle me semble à présent plus pauvre, plus sombre, moins chaleureuse. Je monte immédiatement dans ma chambre pour repousser l'instant ou je devrais répondre à la question que me posera ma mère.

Depuis la naissance de ma sœur –autrement dit après mes dix ans–, ma mère et moi réfléchissons ensemble à chaque problème qui se présente. Cela entraîne souvent des disputes, mais à l'époque je me sentais très honorée d'être estimée assez grande pour pouvoir donner mon avis sur les questions sérieuses. Mais aujourd'hui, qu'est-ce que je ne donnerai pas pour retourner en enfance et ignorer les dangers qui se profilent à l'horizon ! A chaque fois que Zéra me demande ce qu'il se passe dans ces moments, j'ai envie de lui dire de profiter du temps qu'il lui reste avant d'entrer dans le monde déprimant et inquiétant des adultes.

Mais rien ne dure éternellement, et ma mère finit par m'appeler pour manger. Après avoir inspiré profondément, j'ouvre la porte et je descends à table. Ma mère me regarde tout de suite, comme si elle savait déjà ce que j'allais lui répondre, mais elle garde le silence. Nous commençons à manger, et un certain temps passe avant qu'elle ne se décide enfin à m'interroger.

– Alors ? Demande-t-elle. Pourquoi les effacés étaient là ? Je n'ai pas pu aller voir, il y avait trop de monde et je devais finir de planter le grain.

Je secoue la tête lentement, un goût amer dans la bouche. Je ne peux pas le cacher, ça ne sert à rien.

– Ils ont dit qu'il y aurait une nouvelle réquisition...

Ma mère lève soudain la tête de son assiette et me regarde fixement.

– Dans combien de temps ?

Je sens l'inquiétude et l'espoir dans sa voix, elle espère sans doute que ce sera dans longtemps et qu'ils ont juste annoncé la date, comme d'habitude.

– ... Dans dix jours. Je lui réponds en baissant la tête vers ma cuillère, remplie de l'éternelle soupe.

Ma mère qui allait resservir ma sœur écarquille ses yeux et laisse tomber la louche en bois dans la casserole. Elle se rassoit doucement sur sa chaise et se prend la tête entre les mains pendant que ma petite sœur nous regarde fixement sans dire un seul mot, son regard passant de notre mère à moi à tour de rôle.

– On s'en sortira maman. Dit-elle pour tenter de la rassurer.

J'ai une bouffée de fierté pour ma petite sœur. Elle est vraiment courageuse.
Mais notre mère doit fournir un effort pour arriver à lui sourire d'un air confiant.

– Oui ma puce, ne t'inquiète pas. On s'en sortira.

Ma sœur regarde notre mère quelques secondes et lui fait un nouveau rictus, croyant en sa réponse.

– Si tu allais dormir maintenant ? Dit-elle à ma sœur doucement. Il faut que je parle avec Mily.

Zéra se lève, nous dit bonne nuit et monte les escaliers docilement tout en nous observant d'un air trahissant son envie de nous écouter en secret. Je sais qu'elle va le faire, mais je ne dis rien. Après tout, j'adorais faire la même chose étant petite. Quand ma mère et mon père discutaient de choses sérieuses, ou quand une voisine venait rendre visite.
Une fois qu'on ne la voit plus, ma mère soupire puis me jette un regard long et épuisé.

– Je sais ce que tu penses. Qu'on ne devrait pas se laisser faire aussi facilement. Mais qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ?

– On devrait leur dire stop. Je ne sais pas à quoi leur sert cette nourriture, mais je crois qu'ils en ont eu bien assez les dernières semaines.

Nucléaires 1 : EffacéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant