Chapitre 2

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Mes yeux s'ouvrent petit à petit alors qu'un rayon de soleil qui filtre à travers le rideau beige passe doucement sur mes paupières. Je me lève lentement et jette un coup d'œil à Zéra qui dort paisiblement lovée au creux de son lit, beaucoup plus mignonne que lorsqu'elle est éveillée. Ses cheveux bruns sont éparpillés autour de l'oreiller, et je la pleins d'avance pour le moment où elle devra se coiffer au vu des nœuds qui se sont formés pendant son sommeil.

Sortant de notre chambre sans faire de bruit pour ne pas la réveiller, je referme la porte derrière moi en songeant avec satisfaction qu'aujourd'hui, c'est le seul jour de la semaine ou l'on ne travaille pas ma sœur et moi. La porte de la chambre de ma mère est fermée, mais je ne pense pas qu'elle dorme encore. Effectivement quand je l'entrouvre pour regarder à l'intérieur, son lit est vide, elle doit être partie pour travailler dans nos champs. Elle, elle n'a jamais de jour de repos. Je descends et je cherche du lait dans les placards en bois de la cuisine, mais il ne reste plus qu'un bidon à moitié plein –ou plutôt à moitié vide si on prend les choses dans un sens plus pessimiste–. Juste assez pour une personne. Je regarde la bouteille avec envie tout en pestant intérieurement.

Maudit kaiser !

Je décide de laisser le reste pour ma petite sœur à contrecœur et m'empresse d'aller dehors avant que je ne change d'avis, trop tentée par le goût lointain de la crème. Le soleil qui contraste avec l'intérieur de notre petite maison un peu sombre m'aveugle un moment et je cligne des yeux pour m'habituer à sa lumière. En les levants, j'aperçois comme toujours au-dessus de moi la coupole transparente qui laisse passer ses rayons. J'enfile mes chaussures brunies par le temps, puis je pars aux champs voir si ma mère est là-bas. Les tours potagers qui m'entourent sont vides, ne laissant que des grandes jardinières de verre nettoyées, propres, et parfaitement alignées les unes aux dessus des autres, ainsi qu'un calme presque surnaturel comparé à l'agitation qui règne ici habituellement. A part les quelques personnes qui sont en train de replanter des grains, soulevés par les élévateurs, il n'y a personne. Sans doute que les légumes ont aussi été "réquisitionnés" pour ne pas dire volés, par le kaiser. Le chemin pavé est emprunté par beaucoup de monde, certains avec des simples brouettes, d'autres avec des chariots pleins à craquer qu'ils tirent eux-mêmes pour les plus pauvres. Ceux plus aisés utilisent des fardiers, une sorte de charrette aéroglissante pour laquelle des rails magnétiques avaient été installés sur les vieux pavés ne notre quartier il y a longtemps.

En tournant au coin de la rue j'arrive dans une ruelle plus peuplée et me fais bousculer par tout le monde, certaines personnes grognent des mots incompréhensibles en repartant.

– Regarde un peu où tu vas petite ! Me lance quelqu'un.

Je me dépêche de reprendre mon chemin sans prêter attention aux mécontents, à cause de toute cette foule je suis obligée de me faufiler entre les corps pour passer. Je vois enfin les champs de notre famille, petits comparés à certains autres, mais qui nous suffisent tout juste pour vivre. Je repère immédiatement ma mère qui travaille, s'essuyant le front du revers de sa manche, ses longs cheveux bruns relevés en chignon pour ne pas traîner dans la terre. Elle lève la tête et quand elle m'aperçoit je lui fais un signe de la main. Mais son regard se pose derrière moi et fixe quelque chose d'autre. Je me retourne alors et je vois des effacés passer, tout le monde s'écartant pour les laisser marcher. Dès que les soldats ont pénétré dans la petite rue, les gens s'empressent de les suivre pour savoir ce qu'il se passe. Je me dépêche de les imiter, curieuse, et me dirige au milieu de cette marée humaine vers l'épicentre du rassemblement. Ce n'est pas une de leurs vicieuses patrouilles de surveillance quotidienne, ils viennent pour une autre raison.

Qu'est-ce qu'ils font ici ?

Je me fraye un passage à coup d'épaules parmi mes congénères. Cette fois-ci, les gens sont trop occupés pour faire attention à moi. Mes efforts payent finalement, et j'arrive enfin au centre-ville, là où ils se sont rassemblés. Les effacés montent tour à tour sur un podium surélevé et entourent un des leurs, un jeune garçon blond qui s'apprête à prendre la parole. La foule se masse autour d'eux si bien que je me sens de plus en plus compressée, une sensation que je n'apprécie pas vraiment. L'orateur attend que la foule se taise pour prendre la parole, il tord ses mains dans tous les sens et jette un regard à ses collègues, qui l'encouragent par des petits signes de tête. J'en déduis rapidement qu'il est stressé et que ce doit être une jeune recrue. Il prend soudain une grande inspiration et commence à parler d'une voix à moitié brisée par l'effet du stress.

Nucléaires 1 : EffacéeWhere stories live. Discover now