Chapitre 1

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J'ai toujours fait ce rêve. Parfois je voudrais dormir plus longtemps juste pour tenter de voir la suite, de savoir ce qu'il signifie.

Je vois la vague image d'un visage qui me regarde avec des yeux verts effrayants. Des yeux qui reflètent la peur, la tristesse, et aussi... De l'amour ? J'entends des pleurs, et des paroles qu'on chuchote. Au bout d'un instant, on me pose précipitamment, puis je sens le froid m'envahir, et puis plus rien. J'y repense souvent le soir, en me reposant un peu. Je m'imagine voir la vie d'une autre personne à travers mes yeux. Mais ce aujourd'hui, j'ai à peine le temps de me créer ma bulle en rentrant du travail que déjà, elle est brisée.

Il y a toujours quelque chose qui m'empêche de voir et d'entendre la suite.

– Mily !

Ma mère m'appelle. Comme toujours, perdue dans mes pensées, je n'ai rien entendu et elle doit m'attendre en bas avec ma petite sœur Zéra. Sortant de mes pensées, je descends rapidement les escaliers en bois qui mènent à la salle à manger.

– Ça fait trois fois que je t'appelle. Tu le fais exprès ou quoi ? Peste ma mère en posant une grande casserole sur la table.

Sa voix baisse d'un ton à la fin, signe qu'elle a déjà dû beaucoup l'utiliser aujourd'hui. Il faut dire que ma sœur lui donne du fil à retordre tous les jours.

– Je ne t'avais pas entendue, désolée.

Elle soupire brièvement puis nous sert de la soupe pendant que je grimace. De la soupe, de la soupe, et encore de la soupe. On ne mange plus que de ça depuis des jours, faute de viande et d'autres aliments. Le kaiser a réquisitionné nos bêtes et une bonne partie de notre grain pour nourrir les effacés, les gardes chargés de traquer les extérieurs. Je me demande souvent si toutes ces provisions leurs sont vraiment nécessaires, mais il faut bien que quelqu'un protège les villes.

Je me force quand même à manger sans rien dire, pour ne pas agacer maman. Elle n'y peut rien après tout, ce n'est pas comme si elle avait le luxe de choisir. Zéra n'en fait pas autant, elle se met à pester ouvertement et à insister sur le fait que les effacés doivent manger comme des rois, puisqu'ils prennent « toutes les bonnes choses ». Ses traits creusés par la fatigue et le dur travail lui donnant un air plus sévère, notre mère recommence à nous expliquer qu'il ne faut pas en vouloir à notre dirigeant avec un air contrit. Tout comme après chaque vol, autrement appelée « réquisition » par la plupart de mes voisins, trop trouillards pour utiliser l'autre surnom moins officiel. Sa maigre portion est terminée bien trop rapidement.

– Il faut au contraire lui être reconnaissantes de nous protéger des menaces qui viennent d'au-delà la coupole. Dit-elle sur un ton qui n'autorise ni moi ni ma sœur à contester ses paroles. Si les extérieurs pouvaient entrer dans notre ville, ils nous tueraient tous, continue-t-elle. Nous avons besoin des effacés, et nous avons de la chance que certains hommes et femmes se portent volontaires pour le devenir. Il ne faut pas oublier tout ça.

– Comme papa ? Demande soudain ma petite sœur qui écoutait jusque-là sans rien dire.

Les yeux de ma mère s'embuent un instant avant qu'elle ne lui réponde, endurcie. De mon côté, je baisse mes yeux sans pouvoir m'en empêcher.

– Oui, articule-t-elle d'une voix calme, comme papa.

Un court moment de silence pesant s'installe. Maman repose sa cuillère sur la table et se lève en faisant racler sa chaise sur le sol au passage, puis regarde ma sœur de ses yeux bruns sévères.

– Votre père est partit de son plein gré, personne ne l'a forcé à rejoindre les effacés. Dites-vous que c'est aussi pour lui qu'on donne notre récolte, cela vous fera une raison de moins de vous montrer désagréables à la réquisition.

Nucléaires 1 : EffacéeWo Geschichten leben. Entdecke jetzt