Chapitre 15 - Souvenirs

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Ce foutu talisman, je m'en souviens très bien. Sur le coup, à l'époque, je n'y avais pas trop prêté attention. Il avait fini par atterrir sur les étagères de la chambre du roi, au palais royal, avant de se retrouver dans le temple.

C'est dans ce dernier que j'ai découvert que son immense pouvoir était toujours actif. Mais comme toute idiote qui se respecte, j'ai fait l'exploit de l'oublier sur son piédestal. C'est la faute de Shad aussi, s'il ne m'avait pas embrassée, j'aurais eu l'esprit plus clair.

Je me revois encore, le jour où j'ai apporté ce maudit bijou au palais...


Le soleil se lève sur une Tal-Jinn encore jeune, à l'époque où ses murailles flamboyantes masquaient la lumière de l'astre. Les rues pavées étaient impeccables.

Déjà les marchands étrangers se pressent au pied des immenses portes qui s'ouvrent majestueusement, libérant les parfums d'épices et de rose des marchés.

Le fleuve El-Geyo resplendit, tel un chemin d'or dans le désert immense. Les feuilles des palmiers doum bruissent doucement sous la brise chaude, et les hirondelles virevoltent gaiement dans un vaste ciel d'un bleu uniforme.

Moi, je ne vois rien de tout ça: sous la forme d'un imposant aigle bateleur, je m'échine à transporter un lourd sac chargé de pierreries. Le genre de butin que le premier roi de Tal-Jinn, Shulayman, aimait collectionner. Enfin, non. Disons plutôt le genre d'inutilités que n'importe quel roi adore collectionner.

Mais ce n'est pas de ça dont je voulais vous parler. Passons.

Donc, il fait chaud, tout le monde au palais s'amuse à se baigner ou à fêter une récente victoire sur une troupe de barbares du désert, et moi je passe au-dessus de cette ribambelle de gens heureux en marmonnant.

L'aigle dépasse une série d'ailes secondaires et de patios fleuris avant d'arriver sur une vaste cour intérieure où crapahutent quelques domestiques.

Je dépose mon chargement, et adopte une de mes formes favorites: celle d'un guerrier-léopard muni d'un plastron luisant sous le soleil. Dans ses larges pattes repose une lance à pointe de bronze, et ses yeux toisent l'assemblée timide des laquais qui viennent prendre les bijoux.

Le doyen et chef de ces domestiques, un petit homme à la peau noire comme le jais, s'approche de moi prudemment et doit se racler plusieurs fois la gorge avant de retrouver la parole.

Eh oui, je faisais déjà régner le respect et la crainte à cette époque-là...

« K... K-K... »

Et le voilà qui caquette comme une poule attardée. J'attends qu'il prononce mon nom, en inspectant d'un air désinvolte mes griffes luisantes.

« Kneros... Kneros de la cité Nerma?

- Vous faites erreur sur la personne, grognais-je en dévoilant d'interminables crocs, méprisable créature. Je me prénomme Kalahares de Tal-Jinn, tâchez de vous en souvenir.

- Oh, c'est toi. Oui, maintenant je vois qui tu es, Kalahares. Non, fit-il en ignorant mes cris indignés, tu peux disposer. Oh, quoique, attends. »

Quel manque de respect! Moi qui me montre si humble et digne, regardez comment les humains me traitent! Ces domestiques, ils se permettent tout et n'importe quoi, de nos jours.

J'entends les autres larbins rire sous cape, ce qui a le don de m'énerver. Je leur lance le regard du guerrier-léopard de la mort qui tue, et les voilà qui semblent soudainement se rappeler qu'ils ont autre chose à faire que de contempler ma magnificence.

DjinnsWhere stories live. Discover now