Chapitre 3 - Le chapardage

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Moi? Oh, tout va bien, merci. Depuis ces dernières années, je coule des jours heureux, j'écoute les chants de mes frères dans le vent, je plane haut dans le ciel sous la forme de l'aigle bateleur: je ne m'éloigne que rarement de Tal-Jinn, sa haute silhouette s'élevant toujours à l'horizon.

C'est ça, la vie de Sylphe. Méditer et laisser la brise nous porter. Oui, je vous autorise à admirer ma sagesse, allez-y.

Mais voilà qu'un beau jour, il me prend l'envie de me nourrir d'autre chose que de rosée agglutinée sur les feuilles de palmier et d'antilopes pas cuites.

Je décide de me rendre à la première oasis qui me vient à l'esprit, l'Oasis des Figuiers. C'est un lieu très fréquenté, étant donné que ce point d'eau est souvent la première étape des caravanes qui arrivent de Tal-Jinn pour se rendre aux Terres Blanches.

Pour le voyage, je me change en rafale de sable rugissante qui frôle le sol. Cette apparence, couramment utilisée par les Djinns, a donné lieu à bien des légendes à propos d'âmes qui n'ont jamais trouvé le repos éternel.

Bien sûr, ces histoires sont entièrement fausses: jamais une banale âme d'un rampant dans le genre des Hommes ne pourrait avoir l'apparence d'un noble esprit comme moi.

Le désert est baigné de l'or du crépuscule quand j'arrive à destination. Il y a certainement deux ou trois caravanes qui se sont arrêtées dans l'oasis, mais je suis à l'opposé d'elles et seule l'odeur musquée des hommes et des bêtes me parvient.

Je décide de changer de forme, à nouveau, et c'est donc un splendide léopard à la démarche souple et au regard sage qui surgit des bosquets. Pendant un instant, je suis assise sur la berge, contemplant les flots purs du point d'eau qui viennent lécher doucement la rive.

Puis je me lève, bois, et scrute les hauteurs des palmiers-dattiers d'un air intéressé.

De belles grappes de fruits pendent du haut de ces arbres, avec l'air de me narguer. On dirait presque qu'elles me défient.

« Ce n'est pas quelques dattes qui vont m'arrêter, moi, Kalahares. »

Le léopard se dirige donc vers l'un des troncs, et fait un bond spectaculaire. Au même instant, de belles ailes lui poussent dans le dos et le propulsent jusqu'aux grappes de fruits. D'un coup de griffe précis et habile, je sectionne l'une de ces grappes, qui tombe au sol dans un bruit mou. Le léopard se pose au sol juste à côté. Les ailes disparaissent.

Quoi, comment ça c'est de la triche? J'ai jamais dit que j'allais me farcir l'escalade du tronc! Je suis pas un lézard!

Enfin si, techniquement je pourrais en être un. Mais pas là. Là, je suis un léopard, parce que je veux pas être un lézard. Mes pouvoirs me donnent le pouvoir d'être un lézard ou un léopard, là j'avais pas envie d'être un léopard qui se prend pour un lézard parce qu'un léopard ça me plaît moins qu'un lézard. Euh non, l'inverse.

Enfin, vous m'avez compris. J'espère.

Quiconque arriverait dans la petite clairière que forme les palmiers-dattiers à ce moment serait témoin d'un spectacle plutôt inhabituel: celui d'un félin qui mange des fruits.

Faut dire que je commençais à avoir une sacrée fringale, et que je ne suis pas trop regardante sur mon repas. Je ne suis pas difficile.

Repu, le prédateur fait une rapide toilette et va se coucher à l'ombre d'un grenadier en fleurs aux couleurs chatoyantes.

Par malchance, alors que je somnolais tranquillement, sans déranger personne, un homme débarque en trombe dans la clairière et fait un raffut pas possible en puisant de l'eau à l'aide d'une cruche. C'est toujours quand je dors qu'on me réveille!

Par principe, j'aurai pu me transformer en dragon rugissant ou en cadavre couvert de sang, et lui sauter dessus. Juste pour traumatiser à vie cet impudent qui me dérange. Mais la vue de ses habits plutôt chics et de la belle cruche ornementée me laisse perplexe.

À mon avis c'est un domestique. Mais alors, ça veut dire qu'un riche se ballade dans le désert...? Allez savoir pourquoi. Ils sont du genre à rester cloîtré bien à l'abri dans leur palais, mais il faut croire que la mode a changée.

Je hausse les épaules, remue les moustaches, et me lève sans bruit.

Le laquais repart, sa tâche accomplie, et je le suis discrètement: je me fie plus à mes vibrisses qu'à mes yeux, car la végétation est dense et il fait vraiment très sombre, là-dedans.

Le félin avance à pas de loup (ou plutôt de léopard), sans oublier de lâcher un juron inaudible quand il se cogne contre une branche. Ces dernières années, je me suis ramollie.

Si je suis tant intéressée par cet homme, c'est parce que son maître doit être riche, et comme tout Sylphe qui se respecte, j'ai un petit faible pour les trucs qui brillent.

Je n'irai ni tuer, ni faire la guerre, ni trahir un ami pour quelques pièces d'or, bien sûr. Je ne suis pas comme ces vulgaires humains. Mais un petit chapardage de temps en temps ne me déplaît guère.

Comme je m'y attendais, la caravane est énorme, et contrairement à ce que je croyais, il n'y en a qu'une seule. Et ça court, et ça piaille, et ça lance des ordres de partout, alors qu'à cette heure, on devrait laisser les animaux, et les Djinns si Djinns il y a, dormir tranquilles.

Grâce à mon instinct et mon flair infaillibles, je repère tout de suite une des tentes qui a été installée au centre des chameaux et des autres abris: c'est dans celle-là qu'il y aura des bijoux, c'est sûr.

À moins que la mode ai vraiment changée et que les riches se trimbalent avec des vêtements en guenilles. Ça m'étonnerai, sincèrement.

J'attends donc patiemment que tout le monde aille se coucher, retournée sous un buisson pour terminer ma sieste.


Le silence de la nuit tombe sur le campement.

Sous la lueur argentée de la Lune, c'est une belle et jeune femme au teint foncé et aux cheveux de jais qui se dirige vers la tente centrale.

Ses habits, entièrement noirs, se confondent avec les ombres, et sa chevelure bouclée semble être faite de rubans de ténèbres. Seuls ses yeux gris acier illuminent un peu son apparence. Elle s'approche encore, encore, le regard rivé sur son objectif...

Une voix interrompt cette scène et ce suspens incroyables:

 « Hé! Cette tente, c'est moi qui doit la piller! »


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[Catamancer Leopard - by TamberElla]

Revoilà la Djinn! Pour éviter toute confusion, elle raconte l'histoire à la première personne, et Shad à la troisième. Sinon, je saute une ligne si je change de personne ou si on avance dans le temps durant un chapitre.

Bien, je pense que c'est aisément devinable: mais qui es le trouble-fête qui vient perturber la Sylphe dans son pillage de tente?

Merci pour vos votes et vos commentaires, vous êtes super!

DjinnsWhere stories live. Discover now