Prologue - Tempête de sable

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Le vent soufflait bas, néanmoins pas assez pour gifler le sol de ses bourrasques, et atténuait un peu la morsure du soleil. Entre deux travaux dans les champs, les enfants se baignaient au bord du fleuve, sous l'œil attentif de leurs parents: les ombres des crocodiles n'étaient jamais loin. Par chance, la température était idéale et les sauriens se prélassaient au soleil, laissant les paysans en paix.

Les malheureux, voûtés au-dessus la terre labourée ou tournés vers le fleuve, ne voyaient pas venir derrière eux l'un des plus terribles fléaux du désert.

Au loin, bien après les champs de figuier et d'orge, au-delà même de la crête des dunes, se déchaînait une tempête de sable. Sa silhouette aux formes anarchiques se mêlait au désert et étouffait l'horizon, plongé dans le chaos.

Si la créature était encore loin, elle égalait en vitesse la course du guépard. Tout n'était qu'une question de minutes.

Bien haut dans le ciel, le vent chantant sous ses larges ailes de jais, un aigle bateleur contemplait la scène, impassible.

Le rapace perdit volontairement un peu d'altitude, et poussa un puissant cri rauque, qui fit sursauter plusieurs hommes; certains levèrent le nez vers l'étendue désolée balayée par les vents. La tempête de sable approchait.

L'instant d'après, ce fut la panique: on appelait ses enfants, sans oublier de prévenir ses voisins, et chacun se précipita au pied de solides murets prévus à cet effet.

Cette soudaine agitation se propage, les hirondelles volent çà et là, apeurées, et même les crocodiles vont se réfugier dans la sécurité relative du Fleuve El-Geyo.

Les cris sont portés par la brise, de hameau en port, et bien vite sur les hauteurs blanches d'une majestueuse et imposante ville fortifiée sonne une trompe, prévenant les alentours de la venue imminente de la tempête.


L'aigle, lui, est le modèle même de la classe et de l'impassibilité: l'air de savoir où il va, il se dirige droit vers la grande cité. Les vents forcissent peu à peu, mais ne semblent pas le gêner. On jurerait voir à cet instant un petit sourire plein de fierté pointer sur son bec acéré.

Et il est vrai que je peux me permettre de me sentir supérieure au reste des hommes qui croupissent dans leur terre sous moi: je pourrais voler au cœur du cataclysme ambulant qui approche sans même dévier de ma trajectoire.

Oui, je sais, c'est terriblement stylé. Là se trouve l'un des innombrables avantages d'être une Sylphe. Mais calmez vos regards admiratifs, ça devient gênant.

Pour la forme, je devrais peut-être me mettre à l'abri, le temps que ça se passe, mais je m'autorise tout de même à contempler un peu le paysage. La lumière est toujours particulière avant une tempête.

Non loin de la ville où je me dirige, nommée Tal-Jinn, on peut voir son cimetière, petite structure uniquement accessible pour les plus riches. Et sur la rive qui fait face à la cité, une ébauche de fondations semble annoncer la venue d'un nouveau temple, en l'honneur de je ne sais qui encore.

Tout autour de moi s'étend l'immensité des Royaumes d'El-Geyo, portant le nom du fleuve qui les borde. Tous appartiennent au grand Roi Ismeth.

Ses dernières conquêtes ont été pour le moins fructueuses. Il y a également les Terres Blanches, vers le Couchant, qui font parties de ses trophées de chasse, et quelques villes mineures plus au Sud.

Cet immense royaume explique bien la taille et l'opulence démesurées de Tal-Jinn. Et dire que durant mes premières années, il y a quelques deux cents ans, je l'ai en partie érigée, cette capitale...

Certes, comme n'importe quel Djinn qui se respecte, j'ai pour principe de ne pas aider les humains: c'est comme ça depuis la nuit des temps. Nos deux peuples ont livrés bataille dans un lointain passé, et les tensions sont toujours perceptibles de nos jours.

Mais il y avait des avantages à leur filer un coup de main. Par exemple, j'ai le droit de circuler librement dans la capitale, sans avoir à passer un contrôle ou être escortée par d'autres Djinns au service du Roi. Eux aussi d'ailleurs doivent être bien vernis.

Alors que j'étais perdue dans mes souvenirs pleins de combats et de gloire (surtout de gloire), un pigeon effarouché me rentre dedans, et manque de nous faire chuter tous les deux.

Comme n'importe quelle citadine civilisée, je lui file un bon coup de patte dans le dos et beugle:

« La prochaine fois regarde avant de passer, chauffard! »

Bien sûr qu'il ne peut me comprendre, mais tant pis.

À présent, je survole la ville, et le sable commence à brouiller mon champ de vision. Il est temps que je me pose quelque part. Comme je vous l'ai dit, je peux voler dans une tempête, mais c'est juste que je ne veut pas salir mon beau plumage. D'ailleurs, je vois que déjà la poussière le ternit.


C'est donc un aigle un peu agacé qui se pose discrètement dans une ruelle sale, dans un des quartiers les plus démunis de la ville. On ne viendra pas l'embêter ici. Le rapace se rapetisse, pour faire place à un élégant chat tigré qui vient se pelotonner dans un tas de foin à l'abandon. Il regarde la tempête hurler dans les rues, bien à l'abri dans sa paille.

Il est trop occupé à contempler le spectacle, et ne sent pas la présence derrière lui.

En effet, à seulement quelques mètres de lui se tapi dans l'ombre un petit garçon, sept à tout casser, le teint hâlé, surmonté d'une tignasse de cheveux noirs et crasseux. Ses petits yeux sombres luisent dans les ténèbres de la rue. Comme de nombreux autres orphelins, il n'a pour habit qu'un semblant de haillon sur son corps grêle. Il a vu l'oiseau se muer subitement en chat, et sait de quelle créature il s'agit. Dans la rue, il a déjà entendu les rumeurs de ces Djinns sanguinaires qui tuaient les gens pour le plaisir.

C'est donc à pas de loup qu'il s'éloigne du félin, et finit par disparaître dans la venelle.


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[Sandstorm - by FlorentLlamas]

Voici le premier chapitre! N'hésitez pas à donner vos avis, même vous, les petits lecteurs fantômes ;)

Alors, les premières impressions sur les deux principaux personnages de l'histoire? Que penseriez-vous d'un code de la route version "code du ciel" pour les pigeons et autres hirondelles? (bon cette question-là c'était plus pour étoffer mon paragraphe, hein).

Allez, bisous à vous!

DjinnsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant