°~~27~~°

1 0 0
                                        

La nuit était tombée, voile sombre sur la petite ville dont les adolescents avaient passé la soirée à arpenter les rues. Les rires perçaient l'obscurité, il avançait à un rythme assez aléatoire et avait une capacité à s'arrêter à tous les coins de rues pour parler à on-ne-sait-qui. Les enfants leur jetaient des regards admiratifs, ils hurlaient de peur lorsque l'un des adolescents fondait sur eux dans le noir, puis riaient en souriant. Peut-être un rire nerveux, quoique... Mais bref. Ce n'est pas le sujet.

En s'éloignant du centre-ville, il avait atterri dans la banlieue nord, celle à l'opposé de leur maison, et avait sondé toutes les habitations en remplissant abondamment son sac. Ça pesait un poids lourd qui affaiblissait leur bras, pourtant il courait sur la route, comme si ce n'était rien. Comme si tout s'effaçait en cette soirée où les masques sont visibles.

Alix marchait, ses yeux s'étaient habitués à la pénombre, elle pouvait discerner ses pieds qui avançaient en claquant le goudron nonchalamment. Son sceau rempli de sucreries frappait ses tibias à chaque pas qu'elle faisait, devant elle Louis et Millie parlaient en éclatant de rire, en se poussant et en criant. Les rares restant dans la rue les regardaient d'un regard tout aussi amusé qu'exaspéré, ils traversaient sans leur prêter une plus grande attention. Maddie se tenait à côté d'Alix, dans un silence plombant, car l'espace entre les deux filles semblait être bien trop immense pour être franchi. Alexis n'était pas là, ça faisait déjà les deux semaines avant les vacances qu'il avait loupé les cours. Louis parlait d'une grippe horrible, des symptômes insupportables, mais bon sang, ça se guérissait, une grippe ! Non, Alix n'y croyait pas un seul mot, il se passait quelque chose. Mais la vérité... c'est qu'elle s'en foutait complet. Ce mec, elle ne le connaît pas, un fantôme. Même quand il est là, on dirait qu'il est pas là. C'est personne à ses yeux, alors même si elle sait que c'est pas une grippe, la seule chose qui l'importe vraiment, c'est que Louis lui ait menti.

Millie frappa doucement – ou pas – l'épaule de son ami puis se retourna en sautillant, un large sourire étirant ses lèvres.

— J'ai grave la dalle, pas vous ? Venez, on retourne en centre-ville et on trouve un resto !

Maddie grommela en regardant sa montre, toujours vissée à son poignet droit.

— Il est déjà vingt-deux heures trente, Millie... Je pense que ça sera tout plein, répondit-elle. Regarde sur internet, au pire.

La fille aux cheveux châtains sortit de sa poche son portable, la lumière vive éclaira son visage subitement. Ses doigts commencèrent à taper une recherche de restaurants ouverts et pas trop loin. Maddie et Louis sortirent à leur tour leurs outils numériques, Alix suivit donc leurs pas en attrapant le sien. Le poids qu'il pesait dans sa poche avait quelque chose de réconfortant, cela lui semblait si étrange de ne pas sentir l'objet ricocher contre sa jambe... Elle alluma l'écran, la reconnaissance faciale débloqua immédiatement la page et apparut devant elle son compte "Serial Lover", avec encore beaucoup trop de notifications. Elle laissa ses amis marcher devant elle puis commença à faire défiler les messages, encore des demandes d'aides, encore des commentaires pourris, encore des visages familiers. Elle était prête à se déconnecter et à éteindre son téléphone lorsqu'une photo de profil l'interpella.

C'était Aiko. Il avait les cheveux un peu plus longs, la peau légèrement bronzée, le soleil derrière lui tapait fort ; cette photo avait sûrement été prise durant un été, celui d'il y a un an, à en voir sa tête. La curiosité la piqua, son cœur se mit à battre fort, le message bugua un instant puis il apparut devant ses yeux verts ébahis.

Là, écrit dans la police calligraphique qu'Alix avait choisie, elle vit un ensemble de phrases si étonnant qu'elle stoppa ses pas durant un instant.

"Salut, Je sais pas qui tu es, c'est vrai. Mais je sais qu'il y a une tonne de personnes qui t'envoient des messages tout le temps.

Mais toi, à qui tu racontes tes soucis ?

Si tu as personne... je veux bien être ton Serial Lover."

Elle n'entendait même pas ses pensées tant son cœur résonnait fort dans ses tempes. Quoique, même s'il n'y avait pas eu ce tambour dans sa tête, elle n'aurait tout de même rien compris, car tout se bousculait sans s'arrêter. C'était assez étrange à vivre, un écho bruyant, elle ne savait pas quoi faire. Son cerveau avait juste débranché complet, il était en panique, son corps aussi était en panique, car elle était figée au milieu de la route, le regard dans le vide. Millie tourna sa tête, ne comprit pas pendant un instant, puis se précipita vers Alix.

-Eh ! Alix ! cria-t-elle. Tout va bien ?

La principale intéressée secoua sa tête en se massant les tempes.

-Oui...oui ! J'ai juste eu une petite migraine d'un coup, mais t'inquiète pas, c'est rien.

L'adolescente lui attrapa la main pour la tirer devant.

-D'accord... Si tu veux rentrer, on t'en voudra pas, hein ?

— Je sais, la rassura la rouquine. T'inquiète pas, je te jure, c'est rien.

Millie lui adressa un regard inquiet, qu'elle troqua pour un sourire qui se voulait rassurant.

— Ok, alors on y retourne !

***

Il y avait un vacarme pas possible dans le petit restaurant bondé qu'il avait trouvé pour souper. Entre la télé qui hurlait et les enfants qui faisaient pareil, c'était un mélange, comment dire... original. À la limite du supportable, en vérité. Les pensées d'Alix s'étaient apaisées, elles passaient moins vite, moins nombreuses. Mais même si elle pouvait comprendre la plupart de ce qu'elle pensait, c'était inquiétant : car elle ne voyait que Aiko, sa voix, ses cheveux, ses yeux argentés, cette soirée où ils ne s'étaient même pas parlé, la première fois qu'ils s'étaient vus, leurs premières paroles. Tout défilait en permanence et en boucle, encore, et encore, et encore. Elle avait le cœur en vrac, passait parfois dans un état presque proche de la crise de panique. Comment quelqu'un pouvait donc la mettre dans cet état ?

Elle ne pouvait pas répondre ; car Aiko ne savait pas à qui il parlait. Il ne le saura jamais. Alors espérer avoir une chance avec lui...

Quoi ? Non ! Elle ne voulait pas sortir avec Aiko !

Ses doigts étaient rouges, sa peau toute abimée car elle les avait rongés durant toute la soirée. Elle n'arrêtait pas de se masser la tête, faisant complètement empirer son apparence à cause du gras des chips présent sur ses mains. Le stress, présent sur tous ses gestes, l'emprisonnait dans une bulle. Une bulle qui ressemblait étrangement à une prison, pleine d'incertitudes.

Et de peur. Beaucoup trop de peur.

Elle repensa à toutes les histoires qu'elle avait traitées.

Toutes les personnes à qui elle avait confirmé un crush.

Toutes les histoires de couples stupides dans lesquelles elle s'était mêlée.

Tous les signes qu'elle envoyait au moins cinq fois par jour, que l'on est amoureux d'une personne.

Et même si on ne connaît pas bien cette personne, c'est possible.

Alors merde.

Car quand Alix pensait à Aiko...

Elle avait tous les signes. Sans exception.

Et la bombe avait explosé. 

Serial Lover [Romance]Where stories live. Discover now