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Les lueurs du clair de lune se reflétaient sur la vitre qui entourait le lit. De millions de petites étoiles qui scintillaient de façon presque uniforme sur la toile infinie du ciel, des taches de peinture fluctuant entre deux luminosités. Au milieu, entourée de ces lucioles blanches, la lune flottait dans le noir ; aucun nuage ne camouflait ce spectacle, tout était totalement dégagé par la fine brise nocturne.

Alix redressa son buste, avant de tendre le bras dans un geste flasque pour ouvrir la fenêtre. Ses bras s'étirèrent longuement au-dessus de sa tête, sa mâchoire bâilla à en tomber. Elle ramena vers son corps ses genoux, puis éteignit la faible lumière qui servait à sa lecture. Le toit de la caravane était un peu spécial : transparent sur toute la zone de son lit, il lui suffisait de relever la gigantesque vitre pour avoir l'impression d'être dehors, sans aucune pollution visuelle. Elle fixa son radio-réveil un instant : 4 h 08. Son père et son frère ronflaient depuis quasiment 5 heures, elle les enviait sans honte ; mais l'importance dans l'instant relevait du fait que le bruit ne pourrait pas les réveiller à ce stade de leur sommeil de plomb. Elle prit un appui stable sur ses genoux et usa de la force de ses bras pour relever la vitre sur le toit. Elle s'affala sur son matelas, la tête levée vers le ciel ; les lampadaires étaient à peine visibles dans la pénombre, seules quelques voitures passaient sur la route principale, éjectant des graviers sur l'herbe. Son regard navigua entre deux lumières, cherchant désespérément le rare nuage qui pourrait condamner la douce brise à l'extérieur : aucun risque de pluie à l'horizon.

Alix envoya balader d'un geste les mèches rousses qui balayaient son regard pour mieux chercher son casque et ses lunettes dorées sur la planche qui lui servait de table de nuit. Les objets lui tombèrent presque immédiatement sous la main, quelques manipulations et le doux rythme de "When the party's over" se jouait en boucle, résonnait dans ses oreilles bleues de froid. Elle hissa son plaid de laine sur ses épaules avant de s'adosser au mur, balançant sa tête de gauche à droite pour oublier. Oublier quoi ? Même elle ne le savait pas, mais au fond... ce n'était pas bien grave.

***

Ses écouteurs infligeaient encore un rythme soutenu à ses tympans quand le soleil osa enfin se dévoiler. Le ciel était moucheté de rose, d'orange, par endroits de violet dans cette aurore. La température extérieure daignait enfin remonter degré par degré, alors que la sonnerie tonitruante du réveil hurlait. Alix crut d'abord à une modification ou une nouvelle version de sa musique favorite, avant d'ôter son casque et d'éteindre la sonnerie, paniqué d'avoir réveillé quelque voisin que ce soit. Elle tira son rideau à la hâte, se dégageant de la chaude étreinte de son lit avec difficulté pour se préparer en une dizaine de minutes. Elle salua brièvement son père – qui partait travailler – avant qu'elle aussi franchisse le seuil de la porte avant de la claquer pour être sûre de sa fermeture. Elle tira son portable de la poche étroite de son jean, vérifiant en quelques clics ses messages. Elle s'amusait à faire défiler ses précédentes conversations sous le pseudo "serial lover" lorsque son téléphone vibra discrètement.

— Chelou, murmura-t-elle à voix basse. Toutes les meufs ont déjà répondu.

Son doigt glissa sur le bandeau qui venait de s'afficher à l'écran. Un bug figea la page un court instant, puis une nouvelle discussion s'ouvrit sous ses yeux verts curieux."Salut. Je sais pas qui tu es, mais je pense que t'es bien la seule personne qui pourrait m'aider.

J'ai un petit copain, mon premier. Ça fait quasiment 6 mois, maintenant. Et, en vrai ? Je le déteste.

Bon, je le déteste pas hein, mais je l'aime pas. Du tout. Il me stresse, me parle mal, veut toujours qu'on se voie mais jamais dispo quand je veux. Tu vois, quoi. Mes potes disent que c'est un amour, que c'est une erreur de le quitter, mais vazy, je suis pas bien avec lui. J'ai absolument AUCUNE idée de quoi faire pour me sortir de là.

Désolé de te déranger, je sais que t'es pas un psy ou le Secours populaire. Je sais même pas si t'es une fille ou un mec. Mais bref. Encore désolé."

Ses sourcils se froncèrent instinctivement alors que son cerveau hurlait "WTF ?". Ses doigts se crispèrent autour de la coque en caoutchouc alors qu'elle accélérait le pas pour ne pas louper son bus, qu'elle voyait s'arrêter quelques mètres plus loin. Elle grimpa et s'enfonça dans le couloir, avant de s'avachir sur le premier siège libre. Son sac frappa d'un coup sec le fauteuil alors qu'elle tentait tant bien que mal de refermer la petite pochette cousue à l'avant. Les discussions formaient un désagréable brouhaha, emprisonné dans cet enclos fait de ferrailles et de verres qui roule à l'énergie solaire selon les dires du texte effacé sur la partie latérale. Alix sentit son cœur s'emporter et ses pensées s'enflammer alors que ses doigts commençaient à émettre de petits clapotis contre la surface brillante. Les lettres s'alignaient puis s'effaçaient, les mots s'emmêlaient en un tout chaotique ; l'odeur acre des semelles mouillées pleines de boue emplissait ses narines, la buée se dispersait sur chaque fenêtre, rendant l'air encore plus humide qu'il ne l'était déjà. Que pouvait-elle bien dire à un message pareil, sans connaitre la personne ni son histoire ? Relation toxique ou amour à sens unique, influence des amis ou amour désespéré, histoire étrange ou cas d'adolescent trop influençable ? Tout était possible, rien ne collait, le fil de ses pensées s'émancipait autour de sujets complètement désordonnés. Le bus freina brusquement à l'arrêt d'après, laissant vaciller durant un instant la silhouette qui se tenait à l'accoudoir.

— Eh Alix !! Tu m'as oublié ! S'exclama Millie, masquant durant un instant le tintamarre que formaient les voix. Pousse ton sac que je voie à qui te parle.

Alix serra aussi son téléphone contre son torse tout en laissant tomber au sol son Eastpak. Alors ça non, aucune chance que Millie ne l'aide ! À moins que...

— Tu réponds quoi à quelqu'un qui te dit qu'elle déteste son mec ?

— Que c'est stupide ? Nan franchement, qui déteste son mec ?

— Je sais pas, soupira la fille aux mèches rousses. C'est un message que j'ai reçu ce matin.

— Donc, si je comprends bien... une inconnue t'envoie un message en disant qu'elle déteste son copain et tu sais pas c'est qui. Nan mais là meuf, c'est magnifique.

— T'as pas le contexte, rétorqua Alix. J'ai créé un compte Insta sur les crushs et les couples, en gros. Sauf que maintenant, eh bah... t'as capté.

Son amie la fixa d'un œil interloqué durant de longues secondes, puis bâilla. Avant d'éclater de rire.

***

Les adolescents se bousculaient dans la file du self ; quelqu'un, épuisé par cette interminable attente, préférait observer les vagues humaines depuis les tables collantes de la cafétéria, un soda à la main. Et d'autres prenaient le choix simple de rejoindre les couloirs ou la bibliothèque pour profiter d'un air calme et de l'odeur agréable du vieux papier.

— Sérieux, Alix, t'es jamais venu ? S'étonna Millie en ouvrant l'énorme porte battante.

— J'ai pas grandi ici moi, rétorqua la principale intéressée en clignant des yeux pour mieux observer le décor. 

Des livres, partout, frôlant le plafond et s'entassant sur des étagères ; un petit coin calme avec des canapés et au centre de tout un bureau, et des tables, des tables à ne plus en finir. Sur les murs, des dessins crayonnés avec soin, des planches de bois gravées du nom de ceux qui ont marqué l'histoire. Millie ria en étendant ses bras à gauche et à droite avant de se diriger vers les premières places libres qu'elles trouveraient. Elle tira une chaise qui poussa un grincement rauque, puis fit signe à Alix de la rejoindre en face.

— Bon, il faut qu'on cherche des infos sur cette Laeticia. Et pour ça, rien de mieux que les ragots de la bibliothèque !

Serial Lover [Romance]Where stories live. Discover now