Serial Lover [Romance]

°~~18~~°

La lueur vive des écrans cramait les pupilles d'Alix alors que son réveil clignotait en rouge. La jeune fille avait du mal à discerner les chiffres car elle avait enlevé ses lunettes, qui reposaient mollement à l'extrémité de son lit. Elle plissa les yeux, avant de se résigner à regarder l'heure sur son ordinateur ; 04:32. Pas grave, elle était en vacances. Dormir de jour ne devrait pas poser grand souci. Elle réorienta ses yeux sur les comptes qu'elle stalkait depuis maintenant plus de deux heures. Les proches de Diego et Lisa, les amis, la famille, les republications et les posts des deux principaux concernés... Aucune info ne passait dans les mailles du filet. L'adolescente notait tout dans un petit carnet qu'elle avait acheté à la papeterie de la Little City en sortant du commissariat, le jour de la plainte de Laeticia. Dessus, tout était répertorié, preuves, trucs suspects, infos cachées...

En bref, on aurait pu croire à une psychopathe. Mais valait-il mieux ne pas jouer sur les mots avec des termes comme ça ; psychopathe doit avoir une vraie définition médicale, ce nest pas juste un terme péjoratif utilisé par les nouvelles générations ; et ce n'est pas non plus une simple adolescente qui aime stalker les gens. Alix se retourna pour chasser les fourmis qui envahissaient son pied gauche, et attrapa au passage ses lunettes et la batterie externe qui permettrait de recharger son pauvre ordi dont la batterie était en fin de vie. Un bâillement lui échappa, ses yeux se gorgèrent de larmes sous le poids de la fatigue. Elle arrêta de taper sur son clavier un instant, pouvant discerner les bruits de ronflement qu'émettaient son père et son frère, tous deux endormis depuis déjà des heures. Elle attrapa la ficelle qui lui permettait d'allumer ou éteindre la lumière et tira dessus, plongeant la mezzanine dans un noir quasi complet. Elle tatonna un instant sa couette en quête de son ordinateur et d'autres objets vagabonds perdus au milieu, puis les rangea en un tas mal fait qu'elle posa au bord de son lit. Les cousins qui bordaient son lit l'enveloppèrent dès l'instant où elle plongea son corps allongé dans les draps, et le sommeil l'accueillit en seulement quelques minutes, où le vacarme régnant dans sa tête tentait de s'estomper.

***

Quand elle se réveilla, Alix fut éblouie par la vive lumière qui traversait la fenêtre. Autour d'elle un bruit ambiant régnait : pas, eau bouillante, appel, micro-onde qui bipe son arrêt... La vie avait un brouhaha si habituel que l'on ne prenait jamais le temps d'écouter. L'adolescentes se redressa dans son lit en bordel, puis frotta ses yeux en baillant de nouveau. Sa main saisit le rideau qu'elle tira machinalement.

— Hello, fit-elle d'un ton fatigué.

Sa famille la fixait sans détourner le regard.

— Euh... y'a quoi ?

— Y'a qu'il est presque seize heures, répondit Noah d'un ton dédaigneux. Et tu devais regarder Stranger Things avec moi aujourd'hui, sauf que maintenant il est trop tard. On aura jamais le temps de finir la saison 1.

OH wow. Elle avait dormi autant de temps ?

Son corps paniqua, elle descendit l'échelle en passant ses doigts dans ses boucles pour tenter de les démêler – un vain effort. Elle regarda une bonne dizaine de fois la montre qui gisait à son poignet, vérifiant qu'elle ne rêvait pas. Mais non, c'était bien la réalité qui se déroulait ; et cette journée dans cette réalité allait visiblement être assez courte. Son père ria, visiblement amusé.

— Et on a un repas ce soir, alors je te conseille de bien t'habiller !

Alix, qui accourait vers la salle de bain, se stoppa net dans sa course en exécutant un petit demi-tour.

— Un diner avec qui ? S'étonnèrent d'une même voix Alix et Noah, visiblement tous deux étonnés.

Leur paternel exécuta un sourire rêveur.

– Un collègue qui organise une fête pour son emménagement dans une nouvelle maison. Soyez gentil, d'accord ? Ça serait bien de faire bonne impression.

— Ouais, acquiesce l'adolescente en retournant vers la salle de bain.

Elle claqua la porte sur son passage et sortit de sa poche son téléphone, qu'elle avait emporté en quittant la mezzanine. Elle vérifia ses notifications normales, avant de se connecter au compte Serial Lover, où s'entassaient des dizaines de messages sur les deux tourtereaux brisés. Elle filtra chaque message pour vérifier que certains ne traitaient pas d'autres sujets, puis s'adossa au mur pour rédiger un post qui, sans qu'elle ne le sache, allait bouleverser son compte tout entier. Ses doigts encore engourdis se réchauffèrent à force de tapoter l'écran lumineux.

"Cher Followers,

Je n'ai jamais posté de vrais textes ici. Vous ne savez pas qui je suis, mais moi je sais qui vous êtes. Et c'est avec un grand plaisir que je réagis et tente un peu de vous aider avec vos histoires (qui sont parfois très farfelues).

Je viens ici pour informer toutes ces personnes qui m'ont envoyé des messages à propos de Lisa et Diego. Je suis en plein dans l'enquête, donc si vous savez quoi que ce soit, n'hésitez pas à me le dire.

Je vous partagerai la vérité, quand je l'aurai trouvée, ici. Sur ce compte. Bien évidemment, je prends toujours les petites affaires autres.

~ Votre Serial Lover"

Elle ajouta quelques émojis ainsi qu'une image style ahestetic, puis glissa sous la douche. La morsure tiède filait contre sa peau, le shampoing refusait de mousser dans ses cheveux. Alix se débatit et dut passer trois fois sous l'eau pour enfin obtenir de la mousse. Elle se rincea rapidement et se recouvrit d'une serviette, tentant d'essuyer les gouttes qui perlaient sur son corps. Elle commença à jouer avec les produits capillaires en essayant d'ôter les nœuds qui s'étaient infiltrés dans sa tignasse, tout en dévisageant d'un regard meurtrier le top mouillé qu'elle avait aspergé d'eau en égouttant ses boucles dans l'évier. Son regard croisa le miroir et elle s'observa de fond en comble. Les images des meufs sur Pinterest et Insta lui revinrent en tête, elle commença à enfiler son jean en notant toutes ses imperfections. À commencer par ces fichus cheveux roux, trop voyants. Elle les égoutta avec sa serviette en scrunchant, puis sortit quelques produits qu'elle appliqua sur sa peau qui redevenait blanche au fur et à mesure que l'été s'éloignait. Elle tira sur ses joues avec ses index et observa ses milliers de taches de rousseur qui parsemaient son visage, son nez, la bordure de ses yeux. Habituellement, une couche de fond de teint les dissimulait ; mais aujourd'hui, elle n'en avait pas bien envie. Son visage était humidifié par la buée, elle se contenta donc d'ouvrir la porte et de sortir prendre un petit déjeuner avant d'attaquer son make-up. Quoique, ce serait plus un gouter qu'un encas matinal, mais passons. Noah, qui cliquait sur sa Switch, avachi sur le canapé, la regarda avec désarroi.

— Bah, tu t'es pas maquillé aujourd'hui ? On dirait que t'es à moitié morte, se moqua-t-il.

— Noah, surveille ta bouche, rétorqua leur père. L'écoute pas Alix, t'es magnifique. J'adore tes petites taches de rousseur. Ce qui est sûr, c'est que tu tiens pas ça de moi !

L'adolescente aquiesça en riant. Dans sa tête, elle tenta de visualiser sa mère, ses cheveux ondulés roux, ses yeux noisette, son visage parsemé de centaines de petites constellations brunes. Sous ses yeux, d'épaisses cernes d'un bleu-violet profond, des lèvres gercées, quelques rides prématurées. Son regard fatigué, ses cordes vocales hurlantes, ses mains fortes et violentes. Puis vint l'enterrement, elle la vit dans sa tombe : une robe noire simple qui épousait son corps, ses yeux fermés à tout jamais, ses cheveux relâchés autour d'elle. Les pleurs lointains, les condoléances, les signes de croix accordés en silence, les rires qui fusaient dans l'assemblée faite de noir durant le repas qui venait ensuite. Alix voyait tout qui s'enchainait, qui défilait, le dernier regard accordé à ses grands-parents, ses oncles, ses cousins, puis un vide, un vide immense. Un trou béant dans son cœur là où reposait sa famille maternelle, partie de leur vie dès que l'enterrement avait sonné sa dernière cloche.