Pour Alix, le monde semblait bien plus moche dans les livres qu'en réalité. Cette pensée provenait sûrement du fait qu'elle n'avait jamais ne serait-ce que touché d'autres livres que de la dark romance, mais ce style de roman lui faisait se sentir vivante, l'imprégnait du caractère soutenu des personnages bien souvent clichés : Était-ce peut-être une raison de la personnalité extrêmement banale et de l'abus de chacun de ses ressentis ? Assurément. Dès ses huit ans, elle lisait quasiment dans le noir complet, trépignant sous sa fine couette. Absolument pas adapté pour les enfants, ces récits l'avaient toujours fait vibrer, elle se retrouvait parfois dans certaines émotions, certaines paroles, et ça en devenait un échappatoire. Personne ne la remarquait jamais vraiment ; alors la lectrice se faufilait entre les rayons poussiéreux de la bibliothèque pour atterrir sous son étagère favorite. Elle se hissait sur une pile de livres abimés, puis attrapait de ses petites mains frêles son prochain coup de cœur. Elle n'avait expliqué le thème principal de ses lectures à son père, ne le faisant qu'à treize ans, alors qu'ils étaient allongés dans l'herbe encore humide de la rosée, fatigués après avoir installé un hamac qui ne cessait de glisser d'un des troncs sur lequel ses ficelles s'étaient unies en un seul nœud. Ils avaient ensuite entamé la construction d'une petite caisse assez épaisse pour conserver à l'abri le centre de l'univers d'Alix : ses bouquins.
La jeune fille ne savait trop dire ce qui l'attirait tant chez ces histoires de toxicité. La peur, l'injustice, la violence banalisée... ou juste le fait de se retrouver sur des pages entières de lignes d'histoires étrangement proches de sa propre réalité. Des fois, elle s'imaginait, presque héroïne d'une histoire de tueur en série charismatique qui ne la respectait absolument pas, mais depuis la mort de sa mère, cette réalité qu'elle haïssait tant avait disparu sans qu'Alix ne puisse identifier si elle voyait ceci comme un mal pour aller mieux ou un bien pour retomber encore plus bas.
— Mon chat ! cria son père sans raison apparente vu la taille de la caravane. Il y a Millie à la porte !
— J'arrive ! Dit l'adolescente en retour, troquant en vitesse son pyjama noir contre une tenue adéquate. Enfin, plutôt contre les habits mal repassés qu'elle avait posés en broule sur son lit la veille. Sa tête cogna plusieurs fois le plafond assez bas et les ricanements presque inaudibles de son amie n'échappent pas aux oreilles attentives d'Alix. Ses cheveux en vrac pendouillaient devant ses yeux verts encore mal éveillés alors qu'elle descendait avec maladresse l'échelle de son lit, loupant quelquefois des marches. Comme chaque mercredi depuis maintenant presque 4 semaines, Millie venait squatter pour raconter ses potins et dire ô combien l'habitation de sa meilleure amie était petite.
— Cette dégaine que t'as, c'est magnifique, franchement, lâcha avec ironie la fille aux cheveux châtain en retirant ses chaussures boueuses – comme toujours –.
— Tu peux parler, rétorqua-t-elle. C'est quoi ce nouveau pull encore ? C'est quand même pas pour impressionner Eden !!
-Bah...non. Et puis, ça s'est pas très bien passé entre nous. Elle jeta un regard furtif à l'adulte, qui se dépêcha de prendre sa sacoche de cuir pour partir travailler dans le bureau d'une grosse entreprise qui l'avait accepté en tant que travailleur à temps plein, une aubaine pour sa famille.
— Passez une bonne journée les filles ! Ah oui, et ton frère rentre à quatorze heures, donc t'évitera de l'envoyer balader !
Alix poussa la porte derrière son père avant de jaillir comme une flèche devant Millie, qui s'était déjà installée sur le canapé gris.
— Bon, meuf... il s'est passé quoi ?
Millie pleurait, le visage déjà rougis.
— Elle... elle m'a... elle a vu... d'autres..., begaya l'adolescente au cœur brisé qui hoquetait entre deux pleurs.
— Attends, elle a vu d'autres meufs ?! S'énerva Alix en serrant son poing gauche. Elle avait toujours tenté de serrer assez fort pour faire couler le sang, comme le décrivent certains récits, mais elle n'avait – heureusement – jamais réussi. Voir Millie en pleurs pour un coup de cœur lui faisait mal ; la voir pleurer faisait partie d'un quotidien ennuyeux, car la jeune fille pleurait pour tout : rire, joie, tristesse, colère... mais jamais aussi près d'elle, jamais aussi fort.
— Viens là... souffla Alix en l'entourant de ses bras assez courts. Ses bijoux s'entrechoquaient doucement dans le silence.
— Je l'aimais depuis... depuis si longtemps...
Elle se rongea les ongles en essuyant ses larmes avec sa manche de pull déjà humide.
— Et puis... continua-t-elle, c'est... mon crush depuis... depuis un an...
— C'est surtout une connasse, rétorqua Alix en se levant pour aller chercher un paquet de mouchoirs. Elle bougonna quelques instants en ouvrant les tiroirs qui grincaient légèrement avant d'enfin trouver l'emballage... sans mouchoirs dedans.
— Je t'aurais bien donné un mouchoir, mais mon frère les a tous usés hier, soupira la grande sœur en refermant tout. Un Sopalin, ça te va ?
— Mer-merci, renifla Millie en saisissant le papier gravé de motifs d'éléphants qu'Alix lui tendait nonchalamment. Elle tenta de lui proposer de sortir prendre l'air, mais se fit interrompre par des bruits de tapotement contre sa porte. Elle reconnaissait immédiatement la personne qui se tenait derrière la porte rien qu'à sa façon de frapper sèchement.
— Maddie est là, dit l'adolescente en s'adressant à son amie.
— Qu'est-ce que Maddie fout là ?! S'exclama Millie en se redressant, visiblement plus triste du tout. Ou du moins, plus aucune goutte ne coulait de ses yeux noisette. La panique se sentait dans son ton, son allure tremblante, sa façon brusque de se lever. Décidément, leurs soucis ne s'étaient toujours pas entièrement réglés malgré les semaines qui avaient doucement passé.
— T'inquiète pas, elle passe souvent, fit son hôte dans un vain essai de détendre l'atmosphère. Elle tourna la clé dans la serrure en serrant assez fort les dents pour avoir mal, avant de forcer sur la poignée légèrement rouillée en ouvrant la porte défoncée.
— Coucou !! S'exclama Maddie en montrant un large sourire. Désolée de te déranger... t'es seule ?
— Nan, je suis là, répondit avec un taux de lassitude fortement élevé ce que l'on pourrait communément nommer sa meilleure ennemie.
— Ah, salut.
Bon sang, les filles, un petit effort s'il vous plait ! L'air empestait, genre vraiment. Ça sentait la rage, la tristesse, les vieilles blessures du passé qu'elles s'étaient infligées à tour de rôle, la tension presque palpable qui les reliait autant qu'elle les éloignait, tels deux aimants. Son cœur allait exploser si elle n'ouvrait pas la bouche à ce moment précis :
— Bon stop, j'en ai marre de cette ambiance, donc on va parler, d'accord ? Tout le monde va parler pour mettre les choses au clair avant que ça ne dégénère.
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Serial Lover [Romance]
RomanceAlix a quinze ans, des cheveux roux, un teint brillant, un regard vert menthe et un sourire de fée. Les apparences, c'est la clé pour survivre dans ce monde où elle a déjà bien trop vécu de choses pour une ado. Son enfance, c'était la violence toxi...
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