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Son cœur battait à tout rompre ; la voiture sautait légèrement sur le goudron mal fait, la radio grésillait avec un volume toujours trop faible, ses oreilles s'étaient bouchées de façon désagréable, la faute des montées et pentes présentes durant le trajet.

Elle aurait voulu repenser à une conversation avec Aiko, un rire, des anecdotes qu'ils se seraient échangés en se regardant dans les yeux. Alix aurait pu les fixer pendant des heures, les observer pour déceler tous les petits éclats argentés présents dans son regard gris, elle aurait voulu s'y perdre et s'y noyer pour y rester à toujours. Mais non, il ne s'était rien passé de tout ça : juste un silence pesant, presque étouffant, et son père venu la chercher trois minutes après l'arrivée du jeune homme pour annoncer leur départ imminent. L'adolescente lui avait juste adressé un geste de la main, flasque, plein de regret, puis avait quitté la pièce avec un sourire penaud accroché à son visage. Il lui avait souri à son tour, un sourire qui semblait si pur, si réel, avec sa petite fossette qui se creusait quand il redressait ses lèvres d'un rose pâle. La porte était restée entrouverte, la lumière passait toujours par le petit espace, son cœur battait toujours à la chamade, ses yeux et son corps hurlaient de se retourner, de repartir en arrière. À chaque endroit où elle allait, son premier souhait était de croiser Aiko. Idéologie stupide de l'ado en crush.

— Mon chat, c'était qui, ce garçon avec toi ?

"Oh non. Papa, pas cette question."

Elle hésita un instant, émettant quelques syllabes puis fermant sa bouche.

— Je sais pas, finit-elle par avouer. Il voulait du calme et moi aussi, donc on a partagé la pièce.

Il y avait bien une part de vérité dans ce mensonge : elle ne savait pas qui il était. Pourtant elle connaissait sa voix, mais jamais il n'avait parlé de sa vie, ses soucis, son univers, ses pensées. Il fallait aussi dire que peu de temps s'était écoulé depuis leur rencontre – quoique, c'était surtout une excuse – et que les moments seul à seul n'avaient pas été des plus présents. Un long soupir s'échappa sans qu'elle ne le contrôle. Ses pensées défilaient au même rythme que les paysages, elle ne sentit même pas le véhicule se stopper, quitta la voiture et entra dans sa caravane sans vraiment être présente. Si un esprit malfaisant avait contrôlé son corps, elle aurait ressenti exactement la même chose, ou du moins c'est ce qu'elle pensait. 

Les lumières vives lui brûlèrent la rétine, elle grimpa dans son lit avec lenteur et enfila son pyjama de façon assez laborieuse étant donné que le plafond, quand l'on était dans la mezzanine, pouvait sembler plutôt bas. Elle tira son rideau, se glissa sous sa couette, tourna une dizaine de fois pour trouver le sens qu'elle préférerait, mais ses paupières ne voulaient se fermer, elle luttait pour ne pas ouvrir ses yeux. Les nombres défilaient sur son réveil, les minutes s'effilaient à une vitesse inquiétante. Épuisée de ne pas pouvoir se reposer alors que son cerveau subissait une charge mentale intenable, elle vérifia que toutes les lumières avaient bien été éteintes puis se posa en tailleur sur son lit pour relever sa fenêtre. Le ciel était couvert, le vent un peu violent, mais rien n'était plus agréable que la morsure froide des bourrasques contre la peau nue de ses bras. La lune brillait, un halo lumineux lacté se formait en cercle autour, illuminant les nuages. Alix pouvait apercevoir le centre de la ville, ses grands immeubles, sa statue de marbre, les grands pins du parc, les lumières clignotantes de la rue où les commerces se concentraient. L'adolescente tremblotta ; elle hissa sa couverture sur ses épaules, mais la sensation désagréable ne semblait pas vouloir partir. Résignée pour la seconde fois, elle attendit encore une dizaine de minutes à observer la Little City s'endormir peu à peu, puis referma la vitre et plongea elle aussi dans un sommeil de plomb.

***

Il était huit heures, le soleil reposait déjà haut dans le ciel et Alix se tenait sur le canapé, son bol de céréales sur les cuisses, sa série allumée sur la télévision et son téléphone à la main. Pas une fois elle n'avait vérifié ses notifications la veille au soir, trop obnubilée par son livre ou... son livre. Rien d'autre. Quelques messages WhatsApp, beaucoup de notifications automatiques de
Pinterest, des applications qui la spammaient avec des publicités, des vidéos ou des jeux qui l'incitent à cliquer. Elle ferma toutes ces bandes insupportables qui cachaient son fond d'écran, puis ouvrit Instagram, où tout allait se jouer. Elle tomba directement sur son compte et poussa un cri de surprise intérieure : elle était à huit cents abonnés ! En une nuit, elle en avait gagné presque sept cent cinquante. Sous son dernier poste – et même les plus anciens –, c'étaient des dizaines de commentaires qui défilaient. Elle reconnaissait des noms, des têtes, beaucoup de messages se ressemblaient : "wesh c'est qui", "g un soucis tu peux m'aider stp", "t un gars ou une meuf", "aze vous êtes grv genant avec vos compte de merde là", "t dans quelle classe" et bien d'autres messages abrégés qui auraient pu la rendre folle. Les messages privés ressemblaient à un champ de bataille, jamais elle n'aurait le temps de gérer cette bonne centaine de personnes – au moins – qui lui quémandait de l'aide ! Elle paniqua, éteignit brusquement son téléphone, le jeta presque à côté, sur le canapé, où il rebondit et se fracassa contre le sol.

Serial Lover [Romance]Where stories live. Discover now