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Alix tentait tant bien que mal de ne pas faire trembler sa main en soulignant son regard d'un épais trait d'eyeliner : sa décision de ne pas camoufler ses taches de rousseur était quand même restée – non pas après qu'elle ait demandé à Millie son avis. Elle reposa le produit de maquillage et cligna des yeux plusieurs fois en faisant face au miroir. Elle adressa un sourire charmant à son reflet de ses lèvres brillantes de gloss, puis quitta la pièce en essuyant avec ses mains les quelques poussières qui s'étaient installées sur ses habits. Un jean bleu clair taille haute tenu au-dessus de ses hanches par une ceinture noire ainsi qu'un tee-shirt au bord volant à peine au-dessus de son pantalon constituaient sa tenue du jour. Ses cheveux, retenus en un chignon maladroit, avaient quelques mèches rebelles qui couraient le long du cou de l'adolescente, soulignaient son regard perçant couleur vert menthe. Avant de sortir, elle avait enfilé un sweat épais gris délavé assorti à ses Converse, un sac léger pour emporter son portable et son roman, ainsi qu'un ou deux colliers qu'elle avait enfilés autour de son cou. Assise sur le canapé, elle patientait en jetant des regards d'impatience autour d'elle, tous destinés aux deux retardataires qui prenaient pourtant tout leur temps.

— On va être en retard ! gronda la jeune fille en sortant son téléphone pour vérifier son ENT. 

Les notes des derniers contrôles allaient très probablement arriver... aujourd'hui. Des nombres, ornés de ronds orange et rouges, presque tous en dessous de la moyenne, obnubilaient ses yeux. Elle sentit derrière elle la présence imposante de son paternel et éteignit en vitesse son écran, retirant au passage l'application de l'enfer de ses fonds de tâches. Sa bouche s'ouvrit en un ovale parfait pour se plaindre de leur lenteur, mais Alix annula son geste à la dernière seconde. Elle sentait son cœur battre légèrement plus fort dans sa poitrine, une petite boule semblait obstruer sa respiration. Quand son père allait apprendre ses résultats, elle serait condamnée au bûcher – au moins, elle serait brûlée avec Noah –, ce qui était complètement hors de question. Sérieusement, c'était sa vie sociale qui allait mourir lorsque l'adolescente sera condamnée à fleutrir devant son cours d'anglais toutes les vacances.

— Chérie ! Fit son père en arquant son sourcil. Tu m'écoutes ? On y va !

La Serial Lover tenta intérieurement de réveiller ses neurones ; un vain essai, fallait-il croire. Ses mèches se firent martyriser dans sa main, effet secondaire du stress. Selon Alix, le stress avait tellement d'effets secondaires que ces effets secondaires avaient eu même des effets secondaires. Le stress n'était-il pas lui-même un effet secondaire, d'ailleurs ? Trop de stress et d'effets secondaires, l'adolescente se contenta de chasser ses pensées en resserrant son sac contre elle. La musique était trop basse dans la voiture, elle pouvait discerner quelques rythmes mais aucune parole. La stressée n'osa pas demander à l'adulte d'augmenter le volume, c'était toujours ainsi ; des séquelles, ici et là, de l'époque où sa mère aurait hurlé qu'ils devaient tous se taire, qu'on en demandait trop, qu'Alix en demandait trop. Toujours trop de tout. Sans qu'elle ne le contrôle, sa jambe s'agita, ses ongles semblaient être aimantés à sa bouche. Elle lâcha enfin ses cheveux et regarda le paysage défiler, comme défile une vie. Au début, elle n'est rien qu'attente, ennuis, puis elle commence à défiler doucement ; par moments elle accélère et va extrêmement vite, parfois elle ralentit presque assez longtemps pour se garer. Des fois elle est moyenne, normale dans les limites de vitesse, et d'autres fois elle déraille, sort des chemins, jusqu'au jour où elle s'arrête enfin.

Les pneus du véhicule crissèrent contre les petits graviers du parking, le moteur ronronna une dernière fois et le bruit discret de la radio s'éteignit dans un silence de plomb. L'adolescente se détacha et ouvrit la portière, préférant attendre à l'extérieur les deux hommes. La maison devant laquelle il venait d'arriver était grande, vivante, bruyante, une bonne dizaine d'adultes au moins bavardaient alors que quelques enfants jouaient au loup dans la petite cour. Son père s'avança, et les deux adolescents se résignèrent à le suivre.

— Oh, M. Malonee ! Lança à quelques mètres de là un homme tout serré dans son costard, qui n'arrêtait pas d'haleter. Approchez !

***

La soirée commençait mal, très mal. Extrêmement très mal. Entre le brouhaha constant qui lui déchirait les tympans, les cris perçants des gosses insupportables – et leurs pleurs, bien évidemment – ainsi que la purée, servie en guise de repas, à l'aspect douteux, la rouquine aurait tout donné pour rentrer se poser dans son lit, au milieu de son surplus de coussins. Son casque vissé sur la tête et son livre à la main, elle errait dans la maison pour trouver un endroit calme où elle pourrait continuer de suivre les aventures de son motard violent et de sa dulcinée un peu stupide. Ses pas résonnaient dans ses écouteurs, elle était obligée de marcher doucement pour ne pas interrompre sa musique, déjà cassée par le vacarme qui franchissait la réduction de bruit. Dans le couloir, les hommes d'affaires se bousculaient, tentaient tous de parler plus fort que leur interlocuteur, provoquant un spectacle assez... étrange. Alix soupira de soulagement quand son regard croisa une porte entrebâillée, avec un filet de lumière qui semblait sortir de l'embouchure. Elle s'avança et ouvrit doucement la porte, avant de se glisser dans la pièce et de fermer la porte sur son passage. Elle posa son casque sur ses omoplates et s'avança dans une pièce visiblement vide. Elle laissa glisser son dos contre le mur et respira en profitant de ce "silence" agréable, avant de commencer à tourner les pages neuves. Puis d'un coup sec, la porte grinca ; on aurait dit le rire d'un méchant dans les Disney. Une silhouette s'avança dans la lumière, et Alix eut un petit sursaut : c'était Aiko ! Il le fixa un instant de ses yeux d'argent.

— Hello, lança-t-il en passant d'une jambe à l'autre sur place. J'peux m'installer ici ?
Alix leva la tête, juste un instant, pour lui répondre.

— Oui-oui, va y.

Elle entendit son "merci" dit dans un souffle, le bruit de ses pas sur le parquet, et toute la musique et les bavardages semblaient avoir disparu loin, très loin. Dans un monde irréel qui était le sien. 

Serial Lover [Romance]Where stories live. Discover now