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Il était pile sept heures huit du matin, Alix s'était levée de bonne heure pour assister au lever du soleil, juste en face de la fenêtre située à côté de la mezzanine. La lumière vive éclairait ses draps éparpillés et ses yeux vert menthe clignaient pour être sûrs de ne pas se rendormir. Devant elle gisait, ouvert, son carnet de psychopathe, le papier gravé par des mots, des lettres, des gribouillis incompréhensibles présents dans la marge. S'amusant à tourner les pages, elles se rendaient compte que certaines étaient noires à force d'avoir hachuré des informations ou rajouté des mots égarés, alors que d'autres semblaient juste... vides.

Elle avait regardé son téléphone ce matin, et la réalité l'avait frappée : c'était déjà mercredi. Dans quelques jours à peine, elle devrait se résigner à mener son enquête à la maison ; et il était hors de question qu'elles se privent de contacter en direct les concernées alors qu'elles avaient trouvé leur parfaite couverture. Assistante de Serial Lover, ça sonnait plutôt bien, non ? Le seul risque était que l'info s'ébruite et que les personnes se mettent à harceler ses amis, elle devra donc faire bien attention à préciser qu'elle n'a pas de relation amicale ou amoureuse avec sa pseudo "associée". Alix tournait en bourrique à fixer ces lignes, rester plantée à tourner en boucle dans son lit bas de plafond ne la mènerait à rien. Non, aujourd'hui, c'était une des tâches les plus ardues qui l'attendait avant qu'il rende son verdict final...

La discussion avec Diego. Car même si elle enquêtait pour le compte de Lisa et des curieux, lui aussi était concerné ; et il méritait de connaitre toute la vérité avant les autres. Une preuve de respect, d'attention, un petit subterfuge pour s'assurer qu'il n'est pas en train de plonger dans un chagrin d'amour qui l'emmènerait à plusieurs kilomètres sous terre.

L'adolescente se redressa sur son matelas, envoyant valser son drap froissé, puis descendit en vitesse l'échelle de la mezzanine. Elle tira les rideaux de sa petite maisonnette, laissant les rayons du soleil faire briller son regard vert menthe. Elle réhaussa son pyjama qui semblait vouloir s'échapper de son épaule, puis souffla un coup sur ses mèches rebelles qui lui cachaient la vue. Le temps que le soleil soit déjà haut dans le ciel et que son père se réveille, Alix rejoint à pas de loup la salle de bain, emportant quelques fringues avec elle dans la pièce. Comme à son habitude, elle fila sous la douche, passant de longues minutes à bien mouiller ses racines rousses avant de les frotter. La mousse prenait tout l'espace dans sa main, elle rincait le produit puis recommençait à masser ses cheveux pour être sûre de bien les voir briller ; avec des cheveux aussi épais, deux passages n'étaient certainement pas de trop. Les gouttelettes fraîches d'eau perlaient sur son visage empli de taches de rousseur, l'eau tombait de ses cils lorsqu'elle clignait des yeux pour rendre nette sa vision. La morsure froide de l'eau ne lui faisait aucun effet, c'était même presque agréable : comme si son corps avait été dissocié de son esprit, cet instant la ramenait à la réalité ou l'envoyait encore plus loin dans son subconscient.

Elle mit un certain temps à mettre ses habits, galérant à enfiler le tissu à cause de l'humidité régnant dans la pièce. Elle avait la même tenue que pour la soirée chez le collègue de son père, à l'exception de son jean, qu'elle avait remplacé par un short cargo un peu large : il faisait beau et chaud, même si le mois d'octobre régnait sur la météo. Les tenues plus décontractées, voir un peu streetwear étaient ses préférées, car elle s'y sentait légère et à l'aise. Elle rassembla ses cheveux en un chignon – volontairement – mal attaché, ses mèches rousses s'échappant de la coiffure, puis s'amusa sur le maquillage. Pour la seconde fois en peu de temps, elle n'appliqua aucun fond de teint, juste une crème censée réduire les boutons à long terme, quelques paillettes au coin de ses yeux, un rose léger sur ses paumettes et un trait droit étirant son regard brillant. Elle rajouta du gloss et du mascara, puis quitta la pièce embrumée en attrapant sa serviette pour la faire pendre à l'extérieur. Noah, toujours en pyjama, effectuait les cent pas dans le salon en passant ses mains dans ses cheveux graisseux. Sa sœur lui adressa un léger sourire en franchissant le seuil de la porte, avant de nouveau de la claquer quelques secondes après.

— Salut, Noah, lança-t-elle en se dirigeant vers les placards.

Son frère lui bâilla, puis la fixa.

— Ah. Salut.

-D'accord... Fit Alix en appuyant bien sur les syllabes. Euh, j'ai fait quoi, au juste, pour que tu sois si sympa du matin ?

— Rien, soupira le collégien en lui tendant un cookie. Je suis juste fatigué. Tu restes là aujourd'hui, hein ?

— Désolé, mais nan, répondit l'ainé en croquant dans le biscuit moelleux. Trop de trucs à faire. Mais promis, la semaine prochaine, chuis là. Ok ?

— Ça, t'inquiète pas, qu'elle sera là, lança son père en faisant claquer ses chaussons contre le sol. Coucou mes chéris.

— Hello papa, dit la rouquine en saisissant son sac à main.

— Tu sors encore ? S'exclama son paternel. Mais tu passes toute ta vie dehors !

— Bah, ouais, rétorqua l'adolescente d'un ton dédaigneux. Fin, j'ai une vie, quoi.

— Bon, mais quand même, tu vas faire quoi, dehors ? Tu rejoins Millie ?

Je vais interroger un mec sur qui l'enquête depuis 4 jours, voire plus, puis appeler Millie pour lui faire un récap en allant manger les meilleures glaces de la ville." Pensa-t-elle.

— Euh, ouais, c'est ça. On se retrouve pour déjeuner au centre-ville. Tôt, ajouta-t-elle.

L'adulte lui lança un regard peu convaincu, mais n'insista pas plus. Après des années d'isolement, il ne pouvait pas lui interdire de prendre son envol ; et prenait l'entière responsabilité si il lui arrivait quelque chose. Il aurait voulu l'isoler et la remettre dans une bulle, mais c'était impossible : elle devait découvrir la vie, en bien et en mal. Malgré toutes les peurs du monde.

Même si son père avait exprimé à voix haute ses pensées les plus basses, Alix ne l'aurait pas entendu : elle avait déjà claqué la porte, laissant ses cheveux encore humides flotter dans le vent. La veille au soir, elle avait négocié un rendez-vous avec Diego, vers 10 heures, dans un petit café au centre de la ville : là-bas, après avoir échangé avec le pauvre garçon, elle rejoindrait Millie pour tout lui expliquer de fond en comble. Sa meilleure amie, qu'elle avait délaissée ses premiers jours, lui envoyait encore plus de messages que tous ses spammeurs réunis pour qu'elle soit tenue au courant de l'avancée de cette affaire.

La lycéenne marchait, tout en sentant les poils de ses jambes s'hérisser à cause du froid : bon sang, qu'est-ce qu'elle regrettait de ne pas avoir pris un vrai jean ! Certes, il fera certainement chaud dans l'après-midi, mais la douce brise du matin ne semblait pas d'accord. Le bus en direction de la ville venait de s'arrêter à seulement quelques mètres d'elle, la poussant à accélérer sur les derniers mètres, avant qu'elle adresse un vague "bonjour" au chauffeur. Elle s'affala sur un fauteuil, tout en admirant ce bus à moitié vide, et en réfléchissant à ce qu'elle pourrait bien lui dire, à ce pauvre mec qui s'était fait tromper.

La buée s'était formée sur la fenêtre ; après avoir vérifié que personne ne la voyait, elle écrivit avec son doigt "Serial Lover". Comme une trace insignifiante de son passage dans ce monde, un rappel de ces jours de folie où elle semblait être devenue une petite star anonyme. Elle fixa le pseudonyme mal écrit, et sourit.

Elle sourit pour de vrai. Peut-être pour la première fois, un sourire sincère. 

Serial Lover [Romance]Where stories live. Discover now