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La maison de Seokjin et Jisoo, d’ordinaire bruissante de rires et de la musique des plats cuisinés, était ce soir d’un silence lourd.

Assis à la table de la cuisine, Jin regardait la tasse de thé à la camomille devant lui. Il était épuisé, non pas par le travail, mais par l'effort constant de paraître normal.

​Depuis l’annonce de la maladie de Jisoo, chaque jour était une mascarade. Elle s'efforçait de cacher la douleur, son sourire figé couvrant les nausées constantes.

Quant à lui, il faisait semblant d'y croire, affichant un optimisme forcé, comme si sa seule volonté pouvait dissiper la maladie.

​« Tu ne manges rien, Jinnie, » dit Jisoo en entrant dans la cuisine. Elle portait un grand pull à col roulé, une habitude récente pour dissimuler sa pâleur et sa perte de poids. « Je t'ai préparé ta soupe préférée. »

​« Je n'ai pas très faim, chérie, » répondit-il, se levant pour l'embrasser sur le front. Son geste était lent, méticuleux. Il s’inquiétait de la froideur de sa peau, mais ne disait rien. « Je vais me coucher. Et toi ? »

​« Je vais lire un peu. Ne t'inquiète pas, » dit-elle, un peu trop vite.

​Jin savait. Il savait que les médicaments censés stabiliser sa situation – le deuxième avis médical qu’elle avait accepté sous la pression de leurs amis – n’avaient pas l'effet escompté.   La chimiothérapie, pourtant la meilleure option selon leur nouveau spécialiste, restait pour elle un pas insurmontable, un aveu de défaite.

​Il monta à l'étage, mais resta à la porte, incapable de s'éloigner.

Quelques minutes passèrent. Puis, il entendit un bruit sourd et étouffé, suivi d'un sanglot bref et d'une quinte de toux rauque.

​Le cœur serré, Jin se précipita en bas. Il trouva Jisoo dans la salle de bain, le corps recroquevillé au sol, près de la cuvette. Elle le regarda, les yeux suppliants, les larmes coulant sur son visage. Elle essayait de parler, de s’excuser de ne pas avoir réussi à cacher son état cette fois.

​« Ne dis rien, » murmura Jin. Il vit la trace de sang écarlate dans le fond de la porcelaine et sentit son monde vaciller. C'était la preuve irréfutable que le temps de la dissimulation était terminé.

​« Je suis désolée, » réussit-elle à dire, la voix tremblante. « Je ne voulais pas que tu… »

​« Je sais, je sais, » dit-il, la soulevant doucement, ignorant ses propres genoux tremblants. « Mais c’est fini, Jisoo. On arrête de jouer. La chimio… On y va maintenant. Mais d'abord, on va à l'hôpital. Maintenant. »

​Il n'y avait plus de place pour la discussion, seulement l'urgence. Jin l'enveloppa dans une couverture polaire, ses mains se déplaçant avec une efficacité professionnelle malgré la panique qui le dévorait de l'intérieur.

Il ne se sentait plus comme le mari impuissant, mais comme l’infirmier qu’elle avait été, dévoué et rapide.
​« On va y aller. Tout de suite.

Ne t'inquiète pas. Je suis là, » lui assura-t-il, un baiser sur ses cheveux. Il prit les clés de la voiture, et le lourd silence de la nuit fut brisé par la rapidité de leurs pas vers la porte.

​L'hôpital, le lieu que Jisoo avait fui après son épuisement professionnel, était ironiquement devenu son seul refuge. Pour Jin, l'idée de la voir se battre, même au prix d'une chimio éprouvante, était la seule chose qui lui restait. Il devait affronter ce cancer pour elle, même s'il ne pouvait que tenir sa main.

L'arrivée à l'hôpital fut rapide et douloureuse. À peine Seokjin avait-il expliqué la situation aux urgences, mentionnant le cancer et les vomissements de sang, que Jisoo était emmenée.

Il vit son corps frêle s'éloigner sur le brancard, et la porte des soins se refermer, le laissant seul dans l'écho vide du couloir.

​Jin se laissa tomber sur une chaise en plastique, le sentiment de soulagement se mêlant à une terreur froide. Il avait agi, il l'avait mise entre les mains de professionnels, mais maintenant venait l'attente, la pire des épreuves.

Son regard erra vers les horloges murales, les chiffres rouges lui rappelant que le temps ne faisait qu'avancer, indifférent à sa détresse.
​Incapable de rester immobile, il attrapa son téléphone.

Il avait besoin de la voix d'un ami, de quelqu'un qui comprenne la gravité de la situation sans verser dans la pitié. Il composa le numéro de Taehyung.

​Taehyung décrocha presque immédiatement. Sa voix était rauque, fatiguée.

​« Tae ? C’est Jin. Écoute, il faut que je te le dise. Jisoo... elle a fait une crise. On est à l'hôpital. J'ai dû l'amener. »

​Un silence s’installa. Ce n’était pas un silence de surprise, mais de compréhension mutuelle.

​« Quel hôpital ? » demanda Taehyung, sans fioritures.

​« Le Centre Médical de l'Ouest. Et vous ? » demanda Jin, réalisant la fatigue dans la voix de son ami.

​« Nous sommes là aussi, Jin. Depuis une bonne heure. Jiwon a perdu les eaux prématurément, à cause du stress. Elle est en salle d'accouchement, avec Jennie. »

​Le monde de Jin se figea un instant. Des deux côtés de la ville, leurs vies basculaient la même nuit.
​« Je… je suis désolé, Tae, » réussit à articuler Jin.

​« Et moi pour Jisoo, Hyung, » répondit Taehyung. « Écoute, Jennie est avec elle. Viens me rejoindre à la cafétéria du rez-de-chaussée, j'ai besoin d'un café dégueulasse et d'un visage ami. Et toi aussi. »

​Jin n’hésita pas. Il avait besoin de bouger, de faire quelque chose de concret. Il laissa une note à l’infirmière en cas de nouvelles de Jisoo et se dirigea vers le rez-de-chaussée.

​La cafétéria était étrangement calme à cette heure tardive, le seul bruit étant le ronronnement du distributeur automatique. Jin repéra Taehyung assis seul à une table, fixant une tasse de café fumante. Il avait l’air épuisé, mais la tension de la crise venait de laisser place à une lassitude profonde.

​Taehyung leva les yeux en le voyant approcher. Il n'y eut pas de grandes effusions, juste une reconnaissance silencieuse de la souffrance partagée. Jin s'assit sans rien dire.

​« Alors, une fille prématurée et un cancer de l’estomac, tout ça avant l'aube, » commenta Taehyung avec un humour noir.

​« On fait une sacrée équipe, » répondit Jin, acceptant le café amer que Taehyung lui tendait.

​« Jiwon a eu une peur bleue. Son père était dans les parages. Les garçons sont à la maison avec sa mère, mais Joon, Hobi et Yoongi sont allés sécuriser les lieux. Je n'ai eu de nouvelles qu'à moitié… »

​Jin écouta. Ce n'était pas le moment d'offrir des conseils, juste d'être présent. Il sentit le café brûlant dans sa main, une ancre fragile dans la tempête. Pour la première fois depuis des jours, il avait la sensation de ne pas être seul. L’attente pour sa femme ne serait pas plus facile, mais elle serait partagée.

P È R E  P A R A C C I D E N T //2Where stories live. Discover now