Chapitre 26 | Adrien

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      Je crois pouvoir compter ce matin comme le pire réveil de toute ma vie. Et pour cause : je n'ai plus d'assistante, plus de confidente, plus de petite amie, plus de partenaire. À peine levé et cinq alarmes repoussées, je m'engouffre sous la douche pour effacer les traces de ma détresse de la veille. L'eau me brûle la peau, j'aimerais l'espace d'une seconde qu'elle me dissoute de la tête aux pieds.

Dès que je sors pour me sécher, Nathalie frappe à ma chambre : mon père demande à me voir. Cela tombe bien : j'ai aussi plein de choses à lui dire. Avant cela, je fouille ma garde-robe pour dégotter un vieux pantalon de jogging offert par Nino et le hoodie assorti. Mon père déteste ce genre de tenue confortable : raison pour laquelle le cadeau de mon meilleur ami est parfait. Il me reste à enfiler une paie de basket délavée et la panoplie est complète. Mon cirque semble amuser Plagg.

— Tu as vraiment décidé de tout envoyer balader.

— J'ai bien le droit de faire mes propres choix pour une fois.

J'ouvre la porte de ma chambre et croise le regard surpris de Nathalie. Celle-ci me juge de la tête au pied puis m'indique le bureau de mon père. Visiblement, elle ne trouve rien à commenter et je l'en remercie. Je traine jusqu'au hall et bifurque. Je m'arrête un instant au seuil avant de poser la main sur la poignée, comme si le petit enfant docile que j'étais il y a quelques années me hantait toujours.

— Bonjour père.

Dos à la fresque représentant ma mère, il quitte le nez de son écran pour me toiser. Habituellement, il n'aurait même pas daigné m'adresser un regard. On dirait que mon nouveau style dépote.

— C'est une suggestion de ton assistante ?

Je serre les mâchoires. Quand je pense qu'il n'est pas capable de me sortir pire, il réalise l'exploit de me toucher au plus profond de mon ego.

— Non, je me suis habillé seul aujourd'hui, ça t'étonne ?

Il tique à mon ton provocateur. Je ressemble plus à mon cousin Félix qu'il a toujours détesté.

— Je te prie de t'adresser à moi avec respect, Adrien. Surtout après ce que j'ai fait pour toi et ta chère Ladybug.

Maintenant qu'il aborde le sujet...

— Justement, j'aimerais vous parler d'elle et de votre demande.

— Très bien, es-tu enfin disposé à l'épouser ?

— Je ne suis disposé à rien du tout. Ladybug et moi ne sommes plus ensemble.

Derrière sa monture, je le sens touché par cette information. Étrangement, il parait déçu de la nouvelle.

— Vraiment ? Les jeunes se querellent et se séparent pour rien du tout de nos jours. J'imagine que ça repartira bientôt, ce n'est qu'une question de temps.

Il insinue que Ladybug et moi allons nous remettre ensemble alors qu'il ne sait même pas les raisons de notre rupture. Non pas que j'allais tout lui raconter, mais j'aurais espéré un peu plus de réconfort de sa part.

— Bref, maintenant que tu as terminé, reprend-il comme si mon avis importait peu. Je voulais te demander de te rapprocher de Lila Rossi. Les investisseurs de Pure pourraient être intéressés par une éventuelle collaboration entre eux et nous. Nathalie a prévu un meeting avec leur responsable commercial aujourd'hui.

Business is Business, je n'ai pas mon mot à dire. Lila est la dernière personne que j'ai envie de voir — après Yan peut-être, ou encore Chloé. Les mains dans les poches, je me rappelle soudain de l'existence de mon libre arbitre.

Cécité [TOME 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant