Chapitre 25

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Le pire, dans tout cela, c'est que la coloc Fleur est réellement sympathique et elle cuisine très bien. Nous passons la plupart des repas avec elle. Elle ne semble pas me tenir rigueur de ma méprise et se montre plus gentille avec moi que je ne le mériterais.

Il reste tout de même que je la trouve très très pâle, fond de teint ou pas. Si vous voulez mon avis, je ferais mieux de continuer à la surveiller discrètement. Juste au cas où. Sans plus la bombarder de quoi que ce soit (j'ai de toute façon épuisé tout mon stock d'eau bénite).

Nous passons une bonne partie du samedi à nous promener dans Lyon. Martin m'oblige à aller au musée des miniatures et du cinéma alors que je ne suis pas très porté sur les lieux culturels. Il faut tout de même reconnaître que cet endroit est plutôt pas mal, pour un musée, et que nous y passons un bon moment. Si mes parents pouvaient nous voir !

Contrairement à ce qu'ont l'air de croire ces derniers, je suis par ailleurs parfaitement capable de travailler à Lyon. Je termine tous mes exercices de maths et je lis même trente pages entières d'un des livres de philosophie conseillés par Joséphine sans laisser mon attention trop dévier. Par contre, je me rends compte que j'ai oublié de prendre mon cahier de physique, alors je ne peux pas encore commencer à réviser pour le contrôle. Je le ferai plus tard.

Le voyage en métro en sens inverse du dimanche après-midi est moins glorieux que celui de l'aller vendredi soir. Je n'ai pas la moindre envie de rentrer à la maison et ce, d'autant plus, que mes parents vont certainement me passer un savon pour être parti en douce.

Lorsque nous arrivons à la gare, je traîne carrément des pieds, la mine sombre. Martin n'avance pas avec plus d'enthousiasme que moi. Cela dit, il doit en même temps être secrètement soulagé de pouvoir se débarrasser de quelqu'un d'aussi embarrassant que moi qui bombarde ses colocs de morceaux d'ail...

— Je suis désolé d'être aussi pénible, je marmonne en me collant contre lui, alors que nous nous engageons sur un escalator. Je sais que c'est pour cela que tu es parti, mais...

Martin me repousse aussitôt des deux bras pour me contempler avec perplexité.

— Qu'est-ce que tu racontes ? Je suis parti pour étudier le scénario ! Pas parce que je te trouvais pénible, Théo chéri.

Je bats des paupières en ressentant une soudaine furieuse envie de fondre en larmes.

— Mais... mais... parfois je... Je...

Ma gorge se noue et je juge plus prudent de ne pas poursuivre mon balbutiement. Nous sommes d'ailleurs arrivés tout en haut de l'escalator et nous sommes à nouveau obligés de marcher pour ne pas nous faire rentrer dedans par les gens derrière nous.

L'alpha m'adresse un sourire rassurant.

— Tu es parfois un peu... euh... un peu spécial. Mais dans le bon sens du terme !

Je penche la tête sur le côté en faisant la moue.

— Spécial ? je répète. Spécial comme quelqu'un qui a le cerveau ramolli ?

Martin paraît surpris.

— Le cerveau ramolli ? Bien sûr que non ! C'est plutôt l'inverse, Théo : ton cerveau est beaucoup trop actif.

J'ouvre de grands yeux.

— Tu... tu crois ?

Peut-être que c'est cela, mon problème ! Je réfléchis à trop de problèmes en même temps et cela provoque fatalement des courts-circuits. Cela arriverait à n'importe qui à ma place. Mme Trignart n'a rien compris du tout (ce qui est plutôt inquiétant pour une prof de philosophie qui devrait être une experte en matière de réflexion).

Martin m'attrape les deux mains pour les approcher de sa bouche et les couvrir de baisers.

— Tu es l'amour de ma vie, Théo.

À cet instant précis, je me sens bien bête d'avoir douté de la fidélité de Martin. Nous sommes faits l'un pour l'autre et c'est l'évidence même. Aucune coloc ne pourrait nous séparer, aussi magnifique soit-elle. C'est à moi que Martin appartient.

Allons bon, voilà que je deviens possessif.

Nous allons nous planter devant les panneaux d'affichage, blottis l'un contre l'autre, indifférents à l'agitation ambiante. Je reste accroché à Martin comme une vaillante petite moule sur son rocher. Je m'agrippe le plus fort possible pour ne pas être arraché par les vagues ou les marées qui se déchaînent contre nous.

Le quai de mon TGV est annoncé ridiculement en avance. Pendant un moment, nous faisons mine de ne rien avoir remarqué du tout, comme si nous n'étions pas concernés.

— On pourrait juste aller se positionner face à ton wagon, propose finalement Martin sans grande conviction.

Je reprends mon sac que je traîne à bout de bras. Il faut dire que les livres de philosophie pèsent lourds. Être un élève sérieux a un prix, que cela soit dit.

— Promets-moi d'être prudent, exige Martin tandis que nous remontons le quai. Essaie de ne pas te blesser sérieusement en voulant t'entraîner. Et appelle-moi plus souvent, d'accord ?

J'agite la main avec agacement.

— Oui oui.

Je suis dans la voiture deux, soit l'une des premières à atteindre. Je m'arrête devant la porte. J'envisage sérieusement de ne pas monter dans ce train. Je pourrais dire à mes parents que je l'ai raté parce qu'il y avait un bagage abandonné dans le métro (je ne sais pas pour Lyon, mais ça arrive très souvent à Paris et cela bloque le trafic pendant un certain temps). Ils sont déjà fâchés, de toute façon.

— Stéphane viendra te chercher à la gare pour te ramener chez toi, m'informe Martin.

Je soupire. Mon potentiel futur beau-frère va encore pouvoir en profiter pour se foutre de moi. Je suis certain qu'il n'accepte de me véhiculer que pour pouvoir profiter de mes talents involontaires de comique.

C'est peut-être cela, la carrière dans laquelle je devrais me lancer. Il me suffirait peut-être tout simplement de monter sur scène pour raconter ma vie et les gens se mettraient tant à rire qu'ils accepteraient de me donner plein d'argent et je deviendrais célèbre.

— OK..., je marmonne.

— Qui t'a amené à l'aller, d'ailleurs, puisque tes parents n'étaient pas au courant ?

Je me mords la lèvre avant de me décider pour la vérité.

— Hum... Éric...

Un ange un peu dodu passe en battant mollement des ailes. Je vois un éclair de désapprobation traverser les yeux de Martin. Il entrouvre les lèvres puis les referme avec un effort manifeste. Je suppose qu'il ne souhaite pas relancer une nouvelle dispute et je lui en suis reconnaissant. Je ne veux plus me battre avec lui. Et puis Éric conduit plus prudemment que Stéphane, faut-il préciser. L'odeur de fromage de sa camionnette n'est pas si dérangeante que cela, une fois qu'on s'y est habitué.

— Le TGV va partir, annonce à ce moment-là le haut-parleur d'un ton impitoyable. Merci aux personnes accompagnant les voyageurs de bien vouloir descendre.

Martin et moi échangeons un regard intense.

— Je... Je devrais monter dans ce train, je marmonne sans la moindre conviction.

— Oui, me répond l'alpha, sur un ton qui semble vouloir dire non.

Il ne me lâche d'ailleurs pas la main.

Nous restons plantés là, bousculés par des voyageurs pressés qui, eux, tiennent apparemment à entrer dans ce maudit TGV.

Puis, lentement, la moule que je suis se détache à regret de son rocher, toute triste.

Nous nous embrassons une dernière fois, à la vitesse de l'éclair, pour éviter de perdre une nouvelle fois conscience de la réalité.

Et je saute dans le TGV. Quand je regarde Martin sur le quai, je vois qu'il semble sur le point de vouloir bondir dans le train autant que j'ai envie d'en sortir. Mais une affreuse sonnerie retentit et les portes se ferment avant que l'un d'entre nous ait pu faire un geste.

Le loup et moi 2 [terminée]Onde histórias criam vida. Descubra agora