Chapitre 4

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Bien entendu, il n'y a pas de gare à Gardelune. Il y a juste un arrêt de bus sur la route principale, mais je n'ai jamais vu personne y attendre et encore moins un véhicule s'y arrêter. Je pense qu'il est uniquement décoratif. Nous devons donc sortir de l'agglomération et rouler vingt minutes avant de trouver une ville suffisamment grande pour que Martin puisse monter dans un TER. Il aura ensuite deux correspondances avant de pouvoir gagner Lyon en TGV à une heure tardive.

Mes parents nous attendent sur le parking. Ils sont venus également avec leur propre voiture pour me ramener ensuite à la maison. Ils ont pris Pruneau avec eux qui vient nous faire la fête. Parfois, Martin et moi l'emmenons avec nous chez les Imbert, mais pas systématiquement, car il court encore plus lentement que moi et il empêche Mirabelle de faire sa sieste.

M. Imbert sort les bagages de Martin du coffre. Sa valise n'est pas bien grosse. Le jeune homme prétend que, grâce à sa liste, il a pu se restreindre au minimum. Le plus difficile a été selon lui d'empêcher sa mère de vouloir lui remettre toutes sortes d'objets ou provisions inutiles. Il n'a pas besoin de grand chose, car il s'installe en colocation dans un appartement meublé.

La gare est minuscule. En plus d'un tout petit bâtiment en briques rouges, il n'y a qu'un seul quai. Apparemment, le train qui le dessert va dans un sens, puis revient dans l'autre en restant sur la même voie. À part nous qui formons un groupe assez conséquent, il n'y a que trois autres voyageurs qui attendent le train.

Martin et moi nous éloignons un peu pour prendre un peu d'intimité juste tous les deux. Nos parents font aussitôt semblant de ne plus nous voir. Ma mère tient la laisse de Pruneau qui gigote pour essayer de nous rejoindre. S'il y a une chose dont mon chiot a horreur, c'est d'être laissé à l'écart.

Martin consulte le panneau d'affichage et me regarde droit dans les yeux avec une expression étrange.

— Plus que dix minutes, murmure-t-il en m'attrapant les mains, le teint tout pâle.

Je refuse aussitôt d'entrer dans son jeu mélodramatique. Ce n'est pas mon genre.

— Oui, bon, on se voit dans trois jours...

La rentrée de demain est un jeudi et l'alpha revient pour le week-end.

— Ça ne sera pas pareil, soupire Martin. Dans dix minutes, nous n'habiterons officiellement plus dans la même ville. Je ne viendrai que faire des séjours à Gardelune.

Je lève les yeux au ciel.

— Ce n'est que provisoire, je marmonne.

Connaissant, Martin, il voudra certainement que nous nous installions ensemble dès que possible. Peut-être dès l'année prochaine, quand je commencerai mes études. Si du moins je trouve quelque chose à étudier d'ici là. Nous n'en avons jamais parlé. L'alpha a fini par intégrer le fait que je ne voulais pas qu'il aille trop vite avec moi.

L'idée de passer directement de chez mes parents à chez mon compagnon me met un peu mal à l'aise parce que cela m'a paraît terriblement vieux jeu. Je ne l'exclue cependant pas complètement parce que, pour être honnête, l'idée d'habiter avec Martin me donne des palpitations pas tout à fait désagréables. J'imagine que, somme toute, j'ai de la chance d'avoir trouvé mon âme sœur, surtout si tôt, même si c'est un pervers sur le bord.

Je sursaute en voyant un mouvement dans le lointain. Ça y est, le train est en vue.

J'enfonce mes mains dans mes poches.

— Eh bien... au revoir, je marmonne du bout des lèvres.

Tchac tchac tchac.

J'entends derrière moi le train approcher à une vitesse beaucoup trop grande à mon goût. Si seulement il pouvait dérailler avant d'arriver à quai ! Sans qu'il y ait de blessé, hein ? Simplement pour retarder un peu le départ de Martin... Mais il ne se passe rien de tel, ce qui vaut peut-être mieux, car l'alpha aurait manqué ensuite toutes ses correspondances.

Quand je regarde à nouveau l'alpha, je constate avec surprise qu'il tient entre ses mains... le loup qui hoche la tête qui se trouvait avant sur le tableau de bord sa voiture ?

— Je voudrais te l'offrir, me dit-il. Pour te faire penser à moi.

Je fixe le loup qui me fixe à son tour d'un air narquois en balançant la tête d'avant en arrière. Lui et moi ne nous entendons pas très bien. Apparemment, Martin l'ignore. Mais ce n'est sans doute pas le moment de faire une scène. Je le prends donc en marmonnant un vague remerciement.

Criiiiii.

Le train est arrivé sur le quai et ralentit à grand bruit de freinage. Il ne comporte que deux wagons.

— Est-ce que tu pourrais aussi me remettre quelque chose ? me demande Martin avec espoir.

Je grogne mentalement. Cet imbécile aurait pu penser à cela plus tôt, plutôt que de me prendre par surprise.

Mes yeux se posent sur la bague en forme de tête de mort que je porte sur mon annulaire. J'y tiens, mais elle pourrait faire l'affaire. Je la retire donc à contrecœur et la tends à l'alpha.

— Tiens. Elle sera sans doute trop petite pour toi, mais bon...

À ma grande surprise, Martin pose aussitôt sa main sur son cœur.

— Oh ! Est-ce une demande ?

Je fronce les sourcils. Qu'est-ce qui lui prend, encore ? Une demande pour quoi ?

Puis je comprends soudain et lui arrache aussitôt la bague.

— Bien sûr que non ce n'est pas une demande, idiot !

L'alpha se met à glousser. Les portes du train se sont ouvertes. Une seule personne descend. C'est un contrôleur armé d'un sifflet.

— Je plaisante, Théo, je plaisante, rit Martin. Allez, redonne-moi cette bague qui n'est pas une bague de fiançailles.

Je lui jette un regard méfiant parce qu'on ne sait jamais, avec lui. Il a tout de même tendance à être pressé. N'oublions pas qu'il m'a marqué environ cinq minutes après m'avoir rencontré. Un jour, il va peut-être me donner rendez-vous à la mairie et, avant que je comprenne quoi que ce soit, nous nous retrouverons mariés pour le meilleur et pour le pire, peut-être même avec un enfant en route.

J'entends un coup de sifflet.

— Martin ! crie madame Imbert. Le train va partir !

Le jeune homme tend sa paume vers moi.

— Théo, vite !

Je lui remets à nouveau la bague, d'assez mauvaise grâce. Il referme sa main dessus, me plante un baiser sur les lèvres, s'empare de sa valise de son autre main et court vers la porte du wagon la plus proche. Il a tout juste le temps de sauter dedans avant que les portes ne se referment. Le train redémarre d'abord lentement. L'alpha se presse contre la vitre et me fixe avec intensité. Je me mets instinctivement à marcher de plus en plus vite sur le quai pour rester à sa hauteur le plus longtemps possible. À la fin, je me retrouve à courir jusqu'à ce que j'atteigne le bout du quai et sois obligé de m'arrêter. Je continue à suivre le train du regard jusqu'à ce qu'il disparaisse après un tournant. Et voilà, Martin est parti.

Mon ventre se creuse douloureusement et mes doigts se resserrent sur la figurine de loup que je tiens toujours à la main.

Il ne me reste plus qu'à rejoindre les parents. Tout le monde me regarde avec compassion, sauf Pruneau qui n'a rien compris à ce qui vient de se passer et tourne le museau dans tous les sens en se demandant où est passé Martin.

Ma mère vient m'enlacer.

— Mon pauvre petit lapin ! me dit-elle. Martin ne te manque pas trop ?

Je soupire.

— Bien sûr que non, Maman. Il n'est parti que depuis trente secondes !

Cela ne l'incite pas pour autant à me libérer de son étreinte.

— Les secondes paraissent durer des heures, lorsqu'on est amoureux.

Je me tortille.

— N'importe quoi !

Je sens mon portable vibrer dans ma poche. Martin vient déjà de m'envoyer un mms. C'est une photographie de sa main. Il est parvenu à enfiler ma bague sur son petit doigt.

Jugeant plus prudent de ne rien répondre qui pourrait être mal interprété, je range mon appareil tout au fond de ma poche.

Le loup et moi 2 [terminée]Where stories live. Discover now