Bref, en résumé, je ne parviens à trouver absolument aucun attrait à cette rentrée.

Joséphine, la seule autre oméga du coin, apparaît soudain sur mon champ de vision, abritée sous un petit parapluie rose à franges.

— Coucou Théo ! me salue-t-elle avec son petit sourire timide. Martin ne te manque pas trop.

— Non.

Bon sang ! Combien de fois va-t-on me poser cette question aujourd'hui ? Je vous préviens, je vais mordre la prochaine personne qui la prononcera. Sauf si c'est le proviseur, peut-être. Autant éviter de m'attirer des ennuis dès le premier jour. Cette année, je désire mener une existence tranquille, après l'agitation de celle de l'année dernière. Je vais me concentrer sur mes cours et trouver une idée de profession qui me plairait. Et si elle peut s'enseigner à Lyon...eh bien tant mieux. Mais n'allez pas croire que je choisis mes études en fonction de Martin. Ce n'est pas mon genre. Je ne suis pas dépendant de lui. Et j'accepte très bien qu'il soit loin de moi et en colocation avec une fille. Oui, parfaitement.

— Ça va ? s'inquiète Joséphine. Tu as l'air un peu crispé.

Je serre les dents et essaie de sourire.

— Ça va très bien, merci.

Lorsque nous arrivons à destination, mes chaussettes ont eu le temps d'être allègrement trempées. Il faudra un jour que je pense à en avoir systématiquement une paire de rechange.

Le lycée de Gardelune n'a rien d'extraordinaire. C'est un parallélépipède de béton rempli d'adolescents boutonneux qui ont l'air d'être les mêmes que partout ailleurs dans le monde. En réalité, un bon nombre d'entre eux sont des loups-garous discrètement mêlés aux humains. Il m'est très facile de les repérer grâce à mon odorat. Je suis à présent suffisamment entraîné pour distinguer les alphas des bêtas. Et je connais assez d'individus pour savoir ceux qui relèvent de la meute Imbert de ceux des Raspail, non que cela m'avance à grand chose : tous se sentent obligés de vouloir me protéger. Ou de se foutre de moi. Parfois les deux en même temps.

Je tombe sur un groupe de bêtas de la meute Imbert qui attendent dans un coin et qui s'empressent d'illustrer ma deuxième affirmation.

— Salut Théo, me lance l'un d'entre eux. Besoin d'une petite dose ?

Et ces imbéciles se mettent aussitôt à ricaner, pliés en deux de rire.

Je fais de mon mieux pour les ignorer en continuant ma route. Ce n'est pas la première fois que j'ai le droit à une blague de ce genre. Apparemment, quelqu'un (probablement Émile, même s'il a le toupet d'affirmer que non) a raconté à toute la meute que j'avais pris pendant un moment les loups-garous pour des trafiquants de drogue (avouez que c'est tout de même plus logique que de m'imaginer que les habitants du coin sont capables de se transformer en bête féroce !). Depuis, ils feignent de se prendre pour des mafieux à chaque fois que je suis dans les parages. Je ne pense pas qu'ils fassent cela par méchanceté. Non, c'est seulement parce que je suis apparemment quelqu'un de très drôle.

Joséphine pose une main compatissante sur mon bras et me jette un regard m'enjoignant au calme. En plus de ma réputation de comique, il est également de notoriété publique que je serais soupe au lait, affirmation que je nie tout aussi énergiquement.

Mes yeux tombent sur le parking presque vide. Martin se garait juste là et nous avons eu à cet endroit précis quelques grandes conversations. J'ai presque l'impression de pouvoir y voir l'alpha en train de me sourire.

Mon ventre se creuse et je presse le pas pour rester à la hauteur de mes camarades. Je suis soulagé lorsque nous entrons dans le bâtiment et pouvons enfin nous mettre au sec.

Vrrr vrrrr.

Nouveau SMS de Martin :

Tu es bien arrivé au lycée ? Mes cours commencent dans cinq minutes. Je t'aime.

Et il ajoute à la fin un petit cœur que je regarde pendant au moins cinq secondes avant de ranger mon téléphone tout au fond de ma poche pour ne pas être tenté de répondre. Je vais faire mariner encore un peu l'alpha dans son jus. ça lui apprendra, à partir à des milliers de kilomètres de là et à se mettre en coloc avec n'importe qui.

Nous allons consulter les panneaux d'affichage auxquels je n'accorde qu'une vague attention. Joséphine et Émile découvrent qu'ils ont cours ensemble à l'autre bout du lycée tandis que je dois rejoindre ma prof principale au rez-de-chaussée. Nous nous saluons et je me mets en route sans entrain.

Je grogne intérieurement en voyant soudain Éric Raspail s'avancer droit vers moi d'un pas décidé. Le couloir est droit et je n'ai aucun moyen de l'éviter.

Depuis quelques mois, Éric est mon demi-frère. Enfin, il l'est techniquement sans doute depuis ma naissance, mais lui et moi l'ignorions alors, pour mon plus grand bonheur.

— Notre père t'invite à dîner ce soir à la maison, me lance-t-il en guise de salutation.

Je tique au mot "notre". Pour moi, Jérôme Raspail n'est pas mon père. Mon papa est un gentil vendeur de fenêtre, pas un psychopathe qui trouve amusant d'enlever les gens et de leur faire un procès pour quelque chose dont ils ne sont absolument pas responsables. Comme de naître, par exemple. Et par leur faute, en plus, parce qu'ils n'ont rien trouvé de plus amusant que d'aller fricoter avec des humaines.

Je le toise.

— Tu as l'intention de me kidnapper à nouveau pour me forcer à venir ?

Il fronce les sourcils, comme si cette idée était parfaitement absurde.

— Bien sûr que non.

Je croise les bras.

— Alors sache que je n'ai pas la moindre intention de venir chez ton père.

Et je fais demi-tour en plantant là l'alpha. Et voilà, j'ai une nouvelle fois éviter le pire. Depuis qu'il a appris être mon père, Jérôme Raspail essaie de me convoquer, mais je n'ai pas la moindre envie de lui parler. Il avait arrêté ces dernières semaines et j'espérais qu'il avait fini par se lasser. J'aurais dû me douter que ses tentatives reprendraient de plus belle après le départ de Martin.

— Tu ne pourras pas toujours te défiler, Théo, lance Éric dans mon dos.

Je ne réponds pas. Je ne vois pas très bien comment les Raspail pourraient m'obliger à manger avec eux sans employer la force.

Quand je trouve enfin ma salle de classe, je vais m'installer dans un coin tranquille. Je pose la figure de loup sur ma table (oui, je l'ai emportée...) et lui donne une pichenette. Elle entreprend aussitôt de hocher la tête d'avant en arrière. Je croise les bras et la contemple fixement en soupirant.

Le loup et moi 2 [terminée]Where stories live. Discover now