XXIX

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          Selon certains récits le monde fut façonné par un homme qui habite dans les nuages et qui envoya son fils conter son histoire. Si j'en croyais Taurin, son âme était déjà en train de rejoindre les défunts par ce processus mystérieux qui faisait du ciel un paradis. Imaginer son regard inquisiteur me toiser de tout là-haut laissait un goût amer au fond de ma bouche ; je préférais continuer de croire qu'il ne resterait de lui que des os éparpillés quelque part sous deux mètres de terre et d'eau.

Son corps frêle fût traîné par deux prisonniers après qu'on eut délivré Vanha de ses entraves. Cette dernière semblait profondément touchée par sa perte, mais dans son regard et le creux de ses pommettes, ce n'est pas la première chose que l'on lisait. Comme si la disparition de son partenaire n'était que la première couche d'un tableau qu'on avait couvert de mille détails apparents. Dans ce monde pensé pour les hommes, il n'était pas difficile de deviner ce qui l'avait à ce point effacée.

- Aller, remettez-vous au travail maintenant ! tonna l'un des gardes en brandissant son fouet.

S'il n'en usa pas, la menace fut claire. Cependant, mon attention fût portée sur autre chose que l'arbre qui m'attendait à quelques mètres et un frisson me parcourût l'échine, porté par la haine et la surprise. Il était accompagné d'un homme de haute stature emmitouflé dans une armure éclatante dont l'aptitude au combat ne faisait aucun doute. Pourtant son allure prestigieuse et l'épée qui pendait à sa ceinture laissaient à penser qu'il avait tout autant besoin de protection que le plus glorieux des combattants. Il avançait dans notre direction en laissant traîner cette aura royale qui ne sied guère aux gens des bas rangs. J'avais bien du mal à croire Hakan lorsqu'il prétendait que rien n'était donné à la naissance. La couronne qui épousait les formes de son crâne brillait sous l'éclat du soleil telle la lumière divine et reflétait à elle seule toute la puissance qui l'entourait.

- Les problèmes arrivent... souffla Hakan dont la voix était imprégnée de lassitude.

Il paraissait si brisé par la vie qu'un regard suffit pour le convaincre de me suivre au risque de perdre le peu de dignité qui lui restait. J'avançai vers mon père, le cœur battant à m'en faire exploser la poitrine, je le sentais marteler dans mes tempes alors que face à moi la mer agitée par le vent prenait le rythme.

Soudain, des mains me saisirent les épaules, m'immobilisant comme on bloquerait un cheval contre un mur.

- Halte.

Je tentai vainement de me dégager alors que le roi esquissait un fin sourire, désormais à quelques pas.

- Tiens donc, dit-il en me toisant de son regard glacial, le condamné s'avance vers la lame.

J'avais vu l'éclat meurtrier de ses yeux le jour où j'avais sauté par le vitrail de la chapelle. J'avais lu les mots d'Alix sur cette lettre, qui laissaient croire qu'il me voulait vivant pour avoir le plaisir de me tuer lui-même. Pourtant je n'y avais jamais vraiment cru, berné par l'illusion que même un roi comme mon père ne se résoudrait jamais à tuer son propre fils. Comme il devait jubiler à l'idée de me donner tort.

- Si vous êtes venu pour me tuer, pourquoi avoir attendu si longtemps ?

L'esprit humain est parfois contrariant, et même lorsque vous savez que tout espoir est vain, une partie de vous ne cesse jamais d'espérer. Je n'avais pas réellement cru à ma liberté sur cette île, mais cela ne m'avait pas empêché de compter les jours sur l'écorce d'un arbre. Le roi avait mis précisément vingt-six couchers de soleil pour daigner mettre les pieds sur cette île.

- Contrairement à ce que tu sembles croire, tu n'es que le cadet de mes soucis, lâcha-t-il. Je devais m'occuper du départ d'Alix pour Balone.

La vengeance d'un loup. Tome I : Le Prince DéchuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant