XXV

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          Je n'ai jamais été expert en la matière, mais il me semble évident qu'une écurie ne tire son nom qu'à la présence des chevaux qu'on y trouve. Celle dans laquelle on nous fit entrer était pratiquement vide, à l'exception de quelques magnifiques animaux. Je me serais contenté d'un bâtard né d'un bâtard lui-même du moment qu'il puisse me porter, mais je devais avouer avoir apprécié l'élégance de Delta. Ces chevaux-là dégageaient la même allure, prestance certainement héritée de plusieurs années de sélection. Je trouvai cela presque dommage que plus de la moitié des stalles soit vide.

- J'ai dû les vendre après que vous m'ayez volé, susurra Lamordi comme s'il lisait dans mes pensées.

Avoir ce gueux dans ma tête était une idée désagréable, d'autant plus que son arbalète me titillait les lombaires. À ce stade, je crois que j'aurais préféré rester dans le chien.

Ils nous poussèrent dans le couloir avant de nous mener chacun dans une stalle vide. Je devinai la suite avant qu'elle n'arrive mais fut tout de même surpris par la rapidité avec laquelle on m'attacha les mains au râtelier. La corde était serrée autour de mes poignets qu'ils avaient levés au-dessus de ma tête. La position n'était pas confortable mais il fallait en plus supporter la fierté du comte qui savourait sa prise comme le ferait un pêcheur en remontant un filet plein. Où était passé l'homme qui se cachait avec sa femme dans son grenier ? Nos expériences nous forgent ; je me féliciterais presque de l'avoir endurci.

Ils finirent par nous laisser comme on abandonne un chien dans une auberge, et je dus subir le regard passablement haineux que me lançai Vanha de la stalle d'en face. Tout portait à croire qu'elle me reprochait quelque chose, et j'étais à deux doigts de lui rappeler que je nous avais sauvé d'un chien possiblement agressif.

- Tu as violé sa femme, cracha-t-elle après un silence agréablement long.

Peut-être avait-elle pris le temps de choisir ses mots, mais pour être honnête, j'aurais préféré qu'elle s'abstienne.

- Non, niais-je calmement. Ce n'était pas moi.

J'aurais pu m'offusquer après une telle accusation, mais je ne m'en sentis ni le courage, ni la légitimité. Je n'avais pas violé la femme de Lamordi, mais cela ne faisait pas de moi un innocent pour autant. Vanha était une femme intelligente, ce qui m'épargna sans doute des explications supplémentaires. À en croire l'expression d'Adrian dans la stalle d'à côté, elles n'auraient pourtant pas été de trop.

- Tu ne vaux pas mieux que Danos.

Comme cette idée m'avait déjà traversé l'esprit, je me tus. Celui qui avait brûlé sa maison et tué son futur époux aurait pu être moi.

La discussion aurait pu s'éterniser mais nous étions tous les trois visiblement fatigués, et même Adrian jugea bon de laisser là l'ange qui s'était installé.

Pendant un temps je tentai vainement de défaire mes liens, tirant sur mes bras et tournant mes mains dans un sens, puis dans l'autre. La corde qui me maintenait debout était certainement l'une de celles qui avaient servi à tenir les chevaux vendus ; m'en défaire relevait de ce genre de rêve éveillé qui n'a de sens que dans la tête. J'aurais en l'instant tout donné pour que le carreau de l'arbalète m'ait précédemment transpercé le crâne par erreur. Cela dit, j'aurais dû remercier le destin de ne pas m'avoir servi ce dessein-là, car il restait des questions auxquelles je devais répondre. Avais-je traversé l'esprit de ce chien dans ce monde ou dans mes songes ? Mon rêve de la nuit dernière en était-il réellement un ? Le contraire me paraissait simplement absurde, mais les souvenirs de mon voyage à Salem m'offraient des possibilités douteuses. Ces sorciers m'avaient-ils épargné pour cette faculté que je ne m'expliquais pas ? J'avais beau replonger dans ma mémoire la plus profonde, jamais je n'avais connu telle expérience. Elle se rapprochait des rêves, ceux qui vous prennent à l'orée du sommeil, quand vous sentez votre corps vous échapper et vos yeux devenir si lourd qu'il devient même impensable de les ouvrir. Dans ces instants étranges d'ici et d'ailleurs, on parvient à savoir que notre esprit s'éloigne, sans pour autant pouvoir lutter. Et quand bien même je l'aurais pu, l'aurais-je seulement voulu ? Je n'aurais plus jamais l'occasion d'y voir clair, me refuser quelques instants d'acuité relevait de l'absurdité. C'était comme si j'avais trouvé un autre moyen de voir. Après tout, certains aveugles tromperaient même leur mère tant leur aisance ne fait doute, et si vous les écoutez parler, ils vous diront que dieu leur a fourni des mains pour toucher et un nez pour sentir. Dieu m'en a fourni aussi, mais privez moi de la vue et je tomberais sur le premier caillou que vous mettrez sous mes pieds.

La vengeance d'un loup. Tome I : Le Prince DéchuWhere stories live. Discover now