XXVIII

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          Outre le fait d'avoir été privé de ma liberté et sans espoir d'en réchapper, ce qui titillait grandement mon égo déjà bien amoché c'était de me retrouver prisonnier dans mon propre navire. La cale d'Antharès s'enfonçait sur deux étages qui n'avaient rien d'exceptionnelles que leur visible abandon, mais j'aurais reconnu ses geôles parmi des centaines d'autres. Si les lieux pouvaient parler, peut-être celui-ci me conterait-il les séjours douloureux de quelques individus malchanceux, tombés par mégarde sur la flotte du roi alors qu'ils se perdaient à un jeu dangereux ; celui de la délinquance et de la criminalité auquel je m'attachais moi-même depuis quelques années. Ce jeu-là leur aurait valu une petite virée en mer à travers des barreaux aussi épais qu'ils étaient froids, dans la cale d'un navire qu'ils auraient sans doute maudit tout autant que ses marins à la solde d'un royaume qui ne laissait guère de place à la piraterie. Mais même si je me laissais aller à cette folie imaginaire où les lieux contaient des histoires, celui-ci aurait certainement oublié comment s'y prendre tant il n'avait rien vécu depuis mon exil. Simplement parce que je n'avais jamais eu l'occasion d'y enfermer qui que ce soit, et que je n'avais foulé ces marches que dans l'unique but d'y stocker nos provisions et nos armes. Constater que Derkan et Taurin avait fait le plein de tonneaux de vin ne m'avait guère étonné, toujours est-il que Galacken et ses hommes durent vider une cellule pour y enfermer Taurin, accompagné de mes deux nouveaux compagnons de route. Ces derniers étaient par ailleurs bien silencieux en comparaison du vieil homme qui ne cessait d'injurier ses bourreaux avec passion.

- Lâchez-moi donc espèce de rats, je sais fort bien marcher tout seul ! tonna-t-il en agitant les bras comme un poulpe au bout d'un filet.

Je réprimai un sourire alors que l'un des gardes refermait la cellule que j'allais partager avec Derkan. Celui-ci semblait en pleine contemplation, suivant les toiles d'araignées qui s'étendaient du sol au plafond comme s'il faisait un état des lieux minutieux. Et finalement, cela ne m'étonnerait guère de le voir se plaindre de la saleté comme de la rouille qui rongeait les barreaux de fer.

- C'est ça, barrez-vous bande d'imbéciles ! continua Taurin alors que les hommes de Galacken remontaient sur le pont. Je leur mettrais bien une raclée à tous ces sales chiens, marmonna-t-il.

Et je n'en doutais pas un seul instant. Derkan non plus, pour sûr, ce qui ne l'empêcha pas de nous servir un rire franc qui se répercuta sur les parois incurvées du navire.

- Qu'est-ce qui te fais rire, idiot ?

- Rien du tout, le vieux, répondit Derkan.

Malgré moi un sourire vint se poser sur mes lèvres, si léger que j'aurais pu l'avoir rêvé. Il s'effaça alors que mon colocataire me faisait face, s'avançant vers moi à grandes enjambés. Il arborait toujours ces mêmes cils trop longs teints d'un blond qui faisait ressortir ses yeux bruns, surmontés par des sourcils droits qu'une règle pourrait envier. Une fossette creusait les traits de son menton qu'il avait saillant. Il me tendit le bras tout en me dévisageant avec insistance et je l'empoignai comme on salue un vieil ami.

- T'as une sale tête, dit-il avec tout le sérieux du monde.

Sans doute que les marques des bris de verres sur ma peau ne l'aidaient pas à penser le contraire, de même que les taches rouges qu'arborait mon œil droit. Cependant, j'aurais certainement trouvé moyen de le soulever plus poliment.

- La tienne est une insulte, je ne t'ai jamais rien reprocher, répondis-je sur le même ton tranchant.

Un léger silence imprégna l'étage avant que son rire n'entraîne le mien comme une maladie se repend dans un village.

- Heureux de te revoir, Lucian, souffla-t-il en resserrant les doigts qu'il avait posé autour de mon bras.

- Plaisir partagé, mon frère.

La vengeance d'un loup. Tome I : Le Prince DéchuWo Geschichten leben. Entdecke jetzt