XIII

4 1 0
                                    

          Les prouesses desquelles étaient capables les hommes derrière nos constructions ne cessaient jamais de m'étonner. Savoir que la mer regorgeait de ses trésors juste au-dessus de nos têtes semblait impensable. Pourtant ce tunnel reliait bel et bien le continent à l'île de Château-Noyé. Des poutres épaisses soutenaient la roche et des torches éclairaient notre chemin sur les murs. Le trajet semblait interminable et au fur et à mesure de notre avancé, l'air devenait irrespirable.

Sur la plage Galacken avait ramassé mon épée. Je marchais douloureusement devant lui, désarmé et cerné par des gardes en armure qui me lançaient des regards accusateurs. J'avais peut-être perdu cette bataille, mais j'avais allégé l'armée de mon père de quelques centaines d'hommes. Cela valait bien les vies que j'avais sacrifiées. Sous la falaise, le reste des vainqueurs devait encore être en train de compter les morts pendant que nous arpentions ce qui ressemblait à mon chemin de croix. Le silence était pesant au beau milieu de notre horde de survivants encerclée par l'ennemi. J'aurais trouvé un léger réconfort à ma situation si parmi eux j'avais croisé le regard de Sébaste. Mais le seul qui subsistait n'était pas de mon royaume et avait tout au plus obéit aux ordres de son roi. Elighan de Trienne avait bien joué son dernier combat, malgré son état témoignant à merveille de notre défaite. Si le sang qui rougissait la peau de mon visage n'était pas le mien, celui qui tâchait ses bras et ses jambes provenait bel et bien de son corps. Ses yeux fatigués semblaient complètement vidés de la moindre parcelle de vie. S'il avançait avec nous, sa tête était ailleurs. J'aurais aimé faire preuve du même détachement, et forcer mon esprit à se rendre en d'autres lieux. À la place de quoi j'appréhendais l'avenir comme un enfant attend une punition. Et alors que ma déception rongeait chacune de mes cellules, je vis la lumière au bout du tunnel. Celle qui m'emmenait vers la justice divine du roi, tel le mourant devant dieu – si tant est qu'il existe.

Notre ascension termina au pied de la tour sud-est du château, et nous traversâmes la cour en passant devant la statue de Sigon le bâtisseur. Les rares nuages qui clairsemaient le ciel passaient de temps à autre devant le soleil, poussés par le vent. Ce jeu d'ombre et de lumière nous suivit jusqu'à l'entrée de la demeure royale devant laquelle il n'y avait aucun garde. À croire que mon père n'avait même pas envisagé la défaite. Je serais les poings, et ce simple mouvement m'arracha une grimace de douleur ; ma blessure à l'épaule allait finir par m'achever.

Lors de ma dernière visite, poussé par deux gardes, j'avais grimpé les marches vers la salle du trône plus lentement que je ne l'avais jamais fait. À cet instant, ma cheville défaillante ralentit mon allure à telle point que j'eus l'impression de faire du sur-place. Pourtant ce ne fut pas la douleur qui m'arrêta devant la porte.

Dans le sas d'entrée le tableau grandeur nature qui nous représentait ma mère et moi serra mon cœur. Elle arborait un léger sourire, aussi réelle que si elle se trouvait là. Ces longs cheveux en cascade avaient été si bien peints que j'avais l'impression que l'on avait travaillé chacune de ses mèches une à une. Son regard était posé sur nous, à la fois inquisiteur et chaleureux, scintillant à la lumière du soleil qui filtrait par la fenêtre peinte sur la droite. L'œuvre regorgeait de détails, tant est si bien que l'on pensait pouvoir entrer dans le décor rien qu'en faisant un pas. Les broderies sur la robe de ma génitrice témoignaient de son statut de Reine, en plus du trône sur lequel elle siégeait. Elahia d'Arkan était le centre de ce tableau qui avait été commandé par elle. Derrière sa royale personne, une main sur le dossier de son siège, le prince héritier posait sur elle un regard admiratif, sa tête ornée d'une couronne similaire à celle de sa mère. Ce prince avait été moi. Si Elighan semblait ne pas comprendre la raison de mon arrêt, Galacken, lui, avait la réponse à ma question.

- Lequel des deux a ordonné qu'on me remplace ? demandais-je, les dents serrées.

Il avait certes la même posture que moi, les mêmes vêtements et le même air sur le visage. Mais il avait les yeux verts de notre mère, ses sourcils arqués, son visage légèrement arrondi et ses lèvres pulpeuses. Quand Cassandre était le portrait craché d'Elahia, j'étais celui de Rigan. J'avais toujours jalousé cette différence entre nous.

La vengeance d'un loup. Tome I : Le Prince DéchuWhere stories live. Discover now