IX

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Salem, 25 janvier 1532

          Qui que ce soit qui ai façonné le monde, il avait fait preuve de bien plus d'imagination que j'étais capable d'en fournir en une vie entière. Je découvrais pour la première fois les terres de Salem et ne cessais de m'étonner devant les paysages qui s'offraient à ma vue. Après avoir amarrés sur les côtes de Creusk, nous avions longé la frontière de Negan jusqu'à Salem. Des terres aussi plates que l'humour de Bach nous avaient accueillis, s'étalant sur des kilomètres jusqu'à disparaître derrière l'horizon. Ce genre de terres qui vous donne envie de vous asseoir pour attendre l'heure de votre mort, parce qu'il est démoralisant d'avancer des jours entiers entouré des mêmes arbres et des mêmes champs. J'avais eu l'impression de faire du sur-place pendant bien trop longtemps jusqu'à apercevoir le paysage qui s'étalait à l'instant devant mes yeux. Si la végétation constituée de pins ne représentait pas là son originalité, la couleur de son sol, elle, était exceptionnelle. Des terres ocres se dressaient devant nous, mettant fin à la platitude de Salem. Des terres qui avaient, semblait-il, étaient empilées les unes sur les autres, car l'on distinguait fort bien les marques sur la pierre qui avait l'air recouverte de poussière. Les couches de roches s'élevaient de part et d'autre de notre groupe, nous obligeant à emprunter un chemin à travers les quelques arbres qui avaient trouvés refuge en ces lieux. Ici la végétation s'était fait dominer par les roches et la terre tantôt brune parsemée de rouge, tantôt orange qui tournait au jaune. Les sabots de nos chevaux étaient couverts de cette poussière colorée dans laquelle je n'osais même pas mettre les pieds. Et là n'était pas le plus étrange. Il y avait par endroit des morceaux de pierres brûlées qui semblaient avoir été coupé de leurs racines. Comme s'ils étaient sortis du sol trois ou quatre mètres au mauvais endroit. Des pics hauts comme des falaises qui s'élevaient au beau milieu de nulle part pour nous faire de l'ombre. Aux alentours, pas une seule habitation.

- Ces terres sont maudites, c'est moi qui vous l'dit.

Taurin pensait dur comme fer que le jour de sa mort, des anges viendraient prendre son âme pour la mener au paradis. J'avais pris l'habitude de ne plus croire aucun mot qui sortait de sa bouche s'ils n'avaient pas trait à la navigation. M'est avis que lorsqu'on baigne dans un milieu toute sa vie, on a très peu de chance de raconter des sornettes à son sujet.

- Mais tout le monde s'en fout de c'que tu dis, l'vieux, répliqua Ernaut, disant tout haut ce que je pensais tout bas.

Taurin lui lança un regard noir et incita son cheval à s'approcher du sien. Hephaestos parti au galop et son cavalier ne reçut jamais la correction qu'avait voulu lui donner le doyen. Les traits de ce dernier restèrent sévères pendant que nous avancions au milieu de ces terres d'ocres qui dessinaient des pointes et des lignes étonnantes.

Lorsqu'enfin nous arrivâmes au bout de ces lieux colorés de rouge et d'orange, le château du roi Mériguant nous faisait face au loin, entouré de rempart qui abritait la capitale à ses pieds. Je pressai l'allure.

Je dus bien vite me rendre à l'évidence que n'atteindrions pas la ville avant la nuit, et ce malgré l'absence de dénivelé sur notre chemin. La forêt avait beau n'être faite que de pins et de chênes, elle n'en restait pas moins trop dense pour nous permettre un trajet droit et tranquille. Sören, lui, était tout à son aise mais ne s'éloignait cependant pas des chevaux qui avançaient au rythme permis par le terrain. Nous dûmes casser quelques branches pour nous frayer un chemin à travers la forêt, jusqu'à ce que nous tombions enfin sur la route royale. Le crépuscule était déjà tombé et peu de gens eurent l'occasion de s'écarter en voyant Sören, bien que mon loup face preuve d'autant de civisme que moi ; ses pattes ne foulaient que le côté droit de la route et il n'envisageait même pas d'aller renifler les paniers ou les chariots des passants.

La vengeance d'un loup. Tome I : Le Prince DéchuWhere stories live. Discover now