XVI

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          Mon exil m'avait ouvert à deux voyages, l'un physiquement éprouvant, et l'autre dissimulé dans une partie bien trop profonde de mon être. C'était comme si j'avais bâti ma propre église, luttant contre les limites imposées par mon corps pour construire un édifice symbolique tout en haut d'une montagne. Les religieux avaient une foi inébranlable qui les poussait à se dépasser au nom de la spiritualité chrétienne. J'avais, pour ma part, mené un combat similaire pour réussir à avancer en poussant un mètre de neige, à ceci près que ma foi n'avait rien à voir avec un dieu imaginaire. Toujours est-il qu'il y a un voyage que j'avais dû faire seul, à l'instar de ces croyants qui forment leur propre chemin vers le christ. Ma route avait été longue et semée d'embuche pour parvenir, en partant de l'héritier du trône, à ce prince déchu dont tout le monde parlait. On dit souvent qu'il n'y a qu'un pas entre l'amour et la haine, la gloire et l'indifférence, la puissance et le néant. Il m'avait pourtant fallu deux ans et plusieurs milliers de pas pour en arriver là, et j'avais la mauvaise impression que mon voyage ne se terminerait pas de sitôt. Quoiqu'il en soit, c'est un chemin que je devais faire seul.

Je ne comprenais donc pas quelle folie m'avait incité à embarquer les prisonniers de mon étage. Peut-être qu'une part de moi, la plus enfouie et celle que j'avais envie de jeter du plus haut de cette tour, ressentait le besoin d'être accompagné. Cette même part qui m'avait poussé à libérer Sébaste de sa cellule et dont je pensais avoir réussi à me débarrasser ; il est des tares qui vous suivent jusqu'en enfer. Pour l'heure, je préférais penser que j'avais pris cette décision car mes nouveaux compagnons feraient de bons outils de diversion.

- Le seul moyen de sortir d'ici, c'est d'être mort, avait répliqué Adrian.

Il s'avérait en effet qu'au cours de ces dernières semaines, l'on n'avait ouvert ma cellule que pour laisser entrer Bacus. Je n'aurais jamais cru être si heureux de voir quotidiennement ce vieil homme en ruine. Les vestiges de son passé semblaient tirer sa peau vers le bas autant que son moral fort amoché. Pour peu que je m'en souvienne, je n'avais jamais vu le médecin de la cour émettre un rire. Ironique qu'il devienne ma seule distraction. Quoi qu'il en soit, mon voisin de cellule n'avait pas tort, Oldaric en était la preuve ; il n'avait pas fallu plus d'une heure pour que les gardes s'amassent autour de sa dépouille. D'aucun pourrait croire qu'un verrou que l'on ne touche pas reste en l'état, mais c'était sans compter le poids des années. Elles avaient visiblement le même effet sur les objets que sur les médecins et le verrou avait résisté quelques minutes avant de céder ; il était rouillé jusqu'à la moelle.

- Cela voudrait-il dire que les prisonniers meurent dans leur cellule sans que personne ne leur vienne en aide ?

Je connaissais la réponse, mais j'avais besoin d'en être sûr.

- C'est arrivé pas plus tard qu'le mois dernier, répondit Edwin de la geôle d'en face. Mort en vomissent ses tripes, on sait toujours pas c'qu'il avait, mais il était malade comme un chi...

- J'ai une idée, déclarais-je, coupant court à son histoire.

Je me fichais bien de savoir de quoi était mort l'un de leurs anciens voisins. Je m'en fichais, et je n'avais pas le temps.

          Il y avait plusieurs raisons à mon manque d'attirance pour l'alcool, à commencer par son goût fort désagréable qui fait tourner la tête rien qu'à l'odeur. Ça et le fait qu'il inhibe tout contrôle sur nos gestes et nos paroles, comme s'il arrivait à nous faire oublier l'essence même de notre personnalité. Sans compter qu'il arrive un stade où la seule manière d'échapper à son emprise est de vomir tout le flot qu'on en a bu, comme un parasite qu'on expulse avant qu'il ne soit trop tard. Le vin ou la bière suffisent à vous rendre fou, et l'on en trouve au château autant qu'en taverne. J'avais déjà vu trop d'hommes perdre contre l'alcool ; c'est un jeu auquel il est difficile de gagner. Seuls les habitués y parviennent et, paradoxalement, il faut d'abord perdre pour espérer tromper l'ennemi. Je n'avais pas envie de commencer ce cercle vicieux incontrôlable qui me vaudrait d'imiter ces gens qui en venaient à s'immiscer deux de leurs doigts dans la gorge. Je n'avais jamais eu à le faire et m'étais résolu à ne pas sauter ce pas, quel que soit mon état. Pourtant...

La vengeance d'un loup. Tome I : Le Prince DéchuWhere stories live. Discover now