XXVII

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Arkan, 13 avril 1532

          Mon voyage dans le nord n'avait pas été bien silencieux, accompagné des histoires de Derkan et des chansons à boire d'Ernaut, sans compter les plaintes incessantes d'Hugon et de celui qu'il appelait à l'époque son « frère ». Un grand gars maigre qui ne payait pas de mine, dont la barbe éparse ne poussait pas plus vite qu'un pin en plein désert. Ses cheveux roux lui avaient valu le surnom de « poils de carotte » et jusqu'au jour de sa mort, j'en oubliais son véritable prénom. Un prénom nordique, d'ailleurs, et il passait le plus clair de son temps à râler ou rabâcher qu'il retournait au pays de ses ancêtres. Ironique, de nous tous, qu'il soit celui à être mort de froid.

Quoi qu'il en soit, ce chemin vers le sud était entouré des mêmes bruits inconfortables à mes oreilles ; ces bruits parsemés de discussions stériles qui auraient trouvés plus de sens dans une taverne. Dans ces instants infinis où Adrian ouvrait la bouche, Sébaste me manquait. Et je ne regrettais pas seulement son mutisme forcé, mais cette capacité qu'il avait à me comprendre en un regard. Mon second avait eu le même don démesuré que mon père pour me sonder de part en part ; je n'avais jamais rien réussi à lui cacher. Je m'étais longtemps demandé s'il ne s'agissait pas plutôt d'une incapacité à dissimuler mes émotions et mes pensées, mais le reste de mes compagnons m'avaient prouvé le contraire. Vanha et Adrian ne faisaient pas exception par ailleurs, et mes regards pesants sur eux ne semblaient pas avoir l'effet escompté. Leurs chansons s'élevaient vers les nuages et pour les accompagner, je jouais l'instrument à vent qu'était mon souffle lassé.

Allons marins,
Nous aurons tout le temps de dormir demain
Bravons ennemis et tempêtes,
Nous devons faire conquêtes

Claironnaient-ils, sans se soucier un seul instant que l'hymne d'Arkan puisse nous attirer l'arrivée de quelques malencontreux gardes ; il faut dire que nous n'en avions croisé que les rumeurs en six jours.

Quoiqu'il en soit, je terminai ce voyage las et fatigué, et les rares discussions captivantes que nous avions eu s'étaient perdus dans l'océan de conneries déballées par Adrian. Oh en six jours j'avais eu l'occasion d'apprendre sur les moutons et les montagnes plus que je n'en savais sur les chevaux, et j'avais eu un an des discours d'Avold pour mes les vendre... Je me sentais presque prêt à escalader les hauts pics de roche de Landhar qui, paraît-il, embrassaient les nuages comme s'il s'agissait de deux amants éternels. Je répugnais pourtant à monter la moindre marche, n'appréciant guerre plus la hauteur que l'odeur tenace des brebis, bien que je n'aie pas encore de vertige avéré.

Mais, par chance, nous terminions bientôt notre trajet. J'en avais pour preuve les oiseaux qui nous toisaient de leur regard inquisiteur et la végétation alentour qui fleurissait au gré du soleil. Celui-ci devenait de plus en plus cuisant mais sa chaleur était bienvenue après trois jours sous la pluie. Je remarquai de nouveau ce grain de beauté dans la nuque de Vanha, qu'elle arborait fort élégamment, alors qu'elle nouait ses cheveux dans une natte imparfaite.

- Ça sent le sel, non ? remarqua Adrian en humant l'air, perché sur son cheval.

Ils avaient réussi à s'apprivoiser, finalement.

- Nous sommes tout proches, n'est-ce pas ?

Vanha, bien plus qu'Adrian, semblait pressée d'arriver. Je n'arrivais pas à savoir si c'était à cause de nos poursuivants ou bien parce qu'elle était, autant que moi, attirée par la mer. Et pour être honnête, je n'avais pas prévu de lui demander.

- En effet, répondis-je.

Et j'avais plus que l'odeur et le paysage pour m'aider.

Adrian poussa un cri de surprise, faisant faire un bond à son cheval sans doute aussi nerveux que lui, et Vanha fit reculer sa jument pendant que je descendais de la mienne, un sourire aux lèvres.

La vengeance d'un loup. Tome I : Le Prince DéchuWhere stories live. Discover now