XXIII

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          « Une menace, une promesse, une insolence, une courtoisie : cette balance est celle des affaires ». Dacien m'avait appris l'adage lors d'un après-midi ennuyeux comme celui-ci où le ciel était bas. J'avais retenu ce jour-là l'essentiel de ce qu'il fallait savoir sur les relations entre les royaumes et c'est en partie grâce à lui que j'avais commencé à craindre mon père. Quoiqu'il en soit, si j'en croyais mon précepteur, le temps était un parfait homme d'affaire car les nuages avait promis la pluie et que voilà qui assombrissait le paysage ? De l'eau cascadant de haut en bas, mouillant mon visage et imprégnant mes vêtements déjà peu aptes à me protéger du froid hivernal. Je n'avais aucun mérite, mais je me félicitai de n'être pas né vache, mouton ou cochon, car ces derniers subissaient les caprices du ciel tout au long de leur misérable vie. J'avais sous les yeux quelques brebis entourées par une clôture en bois directement attenante à une bâtisse qui paraissait aussi grande qu'elle était entretenue. Pour être honnête, je trouvais cela presque dommage de venir gâcher une si belle demeure avec des animaux dont la laine amassait toutes les impuretés du monde.

          Prudent, je fis le tour de la maisonnette avant d'entrer, le pommeau de mon épée emprisonné dans mon poing fermé. Le parquet en bois grinça sous mes pieds, mais je n'avais pas eu l'idée d'être silencieux. J'aurais pu avoir la prétention de me faire discret, mais c'était blesser mon égo en cas d'échec. Et puis j'avais fort mieux à faire que perdre mon temps en jouant aux espions ; chacun son métier et les brebis seront bien gardées.

Au centre de la pièce trônait une table en bois massif usée par le temps, emprisonnée par deux bancs tout aussi épais qui semblaient faire mon poids. Vu de l'extérieur la maisonnette m'avait paru plus grande mais je n'avais au moins rien à redire sur l'isolation ; le feu qui crépitait dans l'âtre de la cheminée me procurait cette chaleur bienvenue devant laquelle je me serais bien prélassé jusqu'à l'été.

- Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ?

Je n'avais pas remarqué le petit escalier sur ma droite d'où était descendu un homme taillé tout en longueur qui me toisait avec de petits yeux bleus rapprochés et expressifs. J'y lisais une crainte non dissimulée qui l'avait poussé à l'agression.

- Je cherche seulement de quoi manger pour mes compagnons et moi-même, répondis-je calmement.

Ma main armée pouvait constituer une menace en soit, mais j'avais choisi de prendre le ton de la négociation plutôt que celui de l'intimidation. La moitié de mon visage devait être rougis et abîmé et j'empestais la vache suite à cette nuit en leur compagnie. J'espérai susciter un peu de pitié bien que cette idée me fût des plus désagréables.

L'homme m'accorda le bénéfice du doute et me passa devant en jetant un œil inquiet à mon épée.

- Vous n'aurez pas besoin de ça, dit-il avant de disparaître entre deux murs au fond de la pièce.

Je préférai cependant rester sourd à ce conseil et m'accordai le droit de maintenir ma défense en cas d'hostilité. Je n'étais pas à ma place dans cette demeure et s'il venait l'idée à mon hôte de me le faire remarquer, j'avais au moins toutes les cartes en main pour lui donner tort.

Il revint de ce que je présumais être le garde-manger munit d'un panier de légumes et de fruits mélangés surmonté d'une miche de pain, ainsi que d'un sac en toile dont j'ignorais le contenu. Déposant le tout sur la table, il reporta ses yeux sur moi tout en notifiant l'éternel présence de mon arme.

- C'est tout ce que nous avons, justifia-t-il en détachant les lanières du sac.

La justification est l'art que maitrise tous ceux qu'on trouve du mauvais côté de la lame, croyez-en mon expérience. J'approchai pour découvrir son butin, curieux de savoir ce que l'on trouvait au nord d'Arkan. Mais alors que j'atteignais tout juste la table, l'homme souleva le sac en toile et le renversa d'un mouvement trop rapide pour que j'ai le temps d'esquisser un geste. Un nuage de fumée blanche s'éleva entre nous tandis que la farine se déversait entre les lattes.

La vengeance d'un loup. Tome I : Le Prince DéchuDonde viven las historias. Descúbrelo ahora