VII

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          Bien que tous les travailleurs aient déposé leur hache, le silence ne s'empara pas des lieux, chassé par la pluie qui battait la terre comme autant de coup de tonnerre. Alors que le commandant me dévisageait, je regrettai amèrement de n'avoir pas caché mon visage sous mon capuchon. Il me frappa soudain que la vie ne tenait parfois qu'à des détails, s'éloignant de leur définition en se voulant d'importance. Mais finalement, nos vies entières n'étaient-elle pas régit par des détails ? Le détail d'un regard qui précède la naissance d'un enfant ou celui d'un mot qui engendre la mort d'un homme.

- Cette île appartient au roi Rigan, en tant qu'exilé vous n'avez rien à y faire et je refuse catégoriquement de traiter avec un prince déchu.

Peut-être attendait-il de moi que je fasse une courbette en m'excusant, mais ce détail là ne figurait pas dans mes projets.

- Je vous conseille de fermer les yeux sur ma présence et de retourner à vos affaires, répondis-je avant de continuer mon chemin.

Au loin, la mer jusque-là peu agitée tapait contre les rochers de la côte, assez fort pour que nous apercevions les éclaboussures qui s'élevaient vers le ciel. Cependant je ne pus admirer ce paysage plus longtemps, car le commandant me barra la route et la seule chose que j'eus loisir d'apprécier fut son nez effroyablement droit qui contrastait avec ses lèvres trop fines. Je plongeai mes yeux dans les siens qu'il avait aussi noirs qu'un puit sans fond. Cet homme m'avait arraché à la contemplation d'un beau spectacle, pourtant je n'arrivais à penser qu'à mon corps qui n'allait pas supporter une seule minute de plus d'être sous la pluie. Je jure à qui veut l'entendre qu'en cet instant, j'aurais été prêt à déclarer une guerre pour me trouver au coin d'un feu.

- Fort bien, dis-je enfin.

Je me tournai vers mes compagnons et tendis mes mains vers le port.

- Messieurs, je suppose que nous allons devoir faire demi-tour.

Je m'engageai alors en direction du chemin duquel nous étions venus, entamant un pas devant le commandant et sa face de lévrier. C'est dos à lui que je tirai l'épée de mon fourreau ; mon demi-tour fut si rapide qu'il n'eut pas le temps d'esquisser un geste. Brusquement je plantai ma lame en plein milieu de son corps et il se plia en deux en étouffant un cri. Je réprimai une grimace de dégout lorsque je sentis la chaleur désagréable du sang sur ma main droite ; face longue était en train de cracher plus de sang que le vagin d'une femme. Si je ne dis rien, je reculai cependant, retirant mon épée d'un geste sec et rapide, tout en prenant des appuis solides sur son corps. Certains hommes retiraient leur arme d'un cadavre aussi facilement que si elle avait été dans un melon, simplement en exerçant une pression dans le sens inverse. Le genre d'hommes qu'étaient les jumeaux, Bach et Brandon. Considérez qu'ils pesaient bien trente kilos de plus que moi, et vous comprendrez pourquoi j'avais ajouté la vitesse et les appuis à mon geste.

Le commandant s'effondra presque instantanément et j'eus tout juste le temps de faire deux pas en arrière avant que ses boyaux ne viennent effleurer mes bottes.

Je me doutais bien que tuer l'homme en charge de tout ce beau monde n'allait pas suffire à les mettre au pas. Et quand je dis « les », je parle des hommes libres qui accouraient déjà vers nous, épées en mains. J'aurais pensé que manier le fouet sur une île éloignée de toute menace extérieure – mes compagnons et moi étions des exceptions et j'affirmerais avec conviction que nous étions les premiers à leur poser problème – aurait exempté les hommes de porter leurs armes à la ceinture. Je m'étais visiblement trompé.

Je comptai huit hommes qui courraient vers nous en hurlant comme si nous avions tué leur mère. Sept d'entre eux avaient eu la présence d'esprit de sortir leur épée, le dernier avait-il sans doute jugé qu'il aurait le temps de la dégainer une fois à notre hauteur. Ou peut-être faisait-il partie de ceux qui ne maniaient que le fouet, mais je fus trop occupé à parer l'attaque d'un homme armé pour m'en soucier.

La vengeance d'un loup. Tome I : Le Prince DéchuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant