IV

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          Balone n'avait rien de plus attrayant que mon pays natal. Alors que nous découvrions ce qui devait être de nouveaux paysages, à quelques kilomètres du pont, je me rendais compte que ces derniers étaient en réalité peints des mêmes arbres et de bâtisses similaires. Autrement dit, si nous n'avions pas traversé la rivière j'aurais pu croire que nous n'avions jamais quitté Arkan. Pourtant j'avais la certitude de fouler des terres inconnues, et pas seulement parce que je savais que derrière la rivière coule la frontière. Lors de notre voyage dans le nord, mes compagnons et moi avions franchis Balone en longeant la mer, et si je n'avais somme toute rien retenu de cette traversée, Sören, lui, découvrait le pays pour la première fois. Son comportement m'indiquait alors clairement que je ne connaissais rien de cet endroit, ni les chemins, ni les auberges, ni même où trouver de l'eau. Et puisqu'aucun de ceux qui m'accompagnaient ne venaient de ce pays ennemi du mien, nous décidâmes de suivre la route au risque de rencontrer l'un des rares habitants assez cultivés pour me reconnaître. C'est dans ces moments-là que je détestais la vie de m'avoir donné ma différence, ce mélange de bleu et de brun qui formait mon regard atypique.

Alors que Delta et les autres chevaux avançaient à pas lents et sans réelle conviction, j'entrepris de m'arrêter. Sur notre gauche s'allongeaient désormais des étendues de culture, la forêt disparaissant au profit des champs. Par endroit, des bosquets marquaient la limite des terrains. Celui devant lequel j'avais tiré les reines de mon cheval se divisait en deux pour faire place à un chemin ombragé. Je ne connaissais pas beaucoup de paysans, mais ceux que j'avais rencontré durant mon voyage dans le nord ne travaillaient que rarement pour eux même. Il y avait ceux qui contribuaient à nourrir le roi et sa cour contre la protection de ses armées, ceux qui travaillaient pour un noble et bénéficiaient de quelques pièces, et les rares qui vendaient leurs productions aux marchés sans dépendre de qui que ce soit. J'aurais donné ma main à couper que les terres sous nos yeux étaient celles d'un riche et que les paysans qui les maniait pourraient nous mener à lui.

Sébaste émit un son reconnaissable grâce auquel le reste de la bande s'arrêta et je ramenai Delta près de l'étalon brun d'Ernaut.

- Veux-tu bien faire l'effort pour moi de leur demander pour qui ils travaillent ? demandais-je en montrant les paysans occupés à faucher le blé.

Ernaut avait beau en avoir plus dans le pantalon que dans le cerveau, il n'en était pas plus bête. Autrement dit, je savais que je m'affranchirais de tout questionnement en soumettant la tâche à celui-ci plutôt qu'à Hugon, par exemple, qui pour sa part se trimbalait avec un vide plus grand que la coque d'un navire dans la tête comme dans les couilles. Lui expliquer que mes yeux vairons pouvaient nous porter préjudice aurait été bien chronophage...

- Ces terres appartiennent au comte Lamordi, sa demeure se trouve au bout du chemin.

Si quelqu'un avait parié contre moi nous aurions commencés à remplir nos poches plus tôt que prévu. Je demandai gentiment à Delta de tourner à gauche et nous empruntâmes l'allée bordée d'arbres en tout genre. Avold disait toujours qu'il fallait ménager sa monture si l'on voulait avoir une chance de rester sur son dos. Étant ancien maître d'écurie j'aimais à penser qu'il avait raison et ne rechignais jamais face à ses conseils qui, après tout, avaient su nous mener jusqu'à la moitié du chemin vers le nord à cheval. Pourtant je mourais d'envie de forcer Delta à presser l'allure, impatient de découvrir ce que réservait la demeure de ce fameux Lamordi. Mais je retins mes pulsions en pensant à tous les kilomètres que mon cheval avait dans les pattes ; des taches blanches recouvraient son poil brun, presque noir, tel que l'écume recouvre la plage.

La route bordée d'arbres nous mena sur un pont en pierre au bout duquel une arche nous menaçait de toute sa hauteur. Derrière elle se dessinait une colossale bâtisse d'au moins deux étages dont le toit en ardoise se couvrait de mousse. Les quelques fenêtres éparses me laissaient croire que cette demeure n'avait à craindre que les brigands et les voleurs, qui s'adonnaient au plaisir de ressentir un peu de puissance en leurs êtres si vides et creux, et qui n'avaient somme toute pas l'arsenal nécessaire pour faire tomber tout un domaine.

La vengeance d'un loup. Tome I : Le Prince DéchuWhere stories live. Discover now