XII

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          Finalement je pouvais remercier Alix et nos couchers de soleil, car je retrouvais facilement le chemin qui nous permit de descendre sur la plage. Le soleil avait percé les nuages lorsque Château-Noyé ne fut qu'à quelques centaines de mètres de notre position. La plage arrivait à sa fin et nous étions face à un cul de sac formé par l'avancement de la falaise sur l'eau. Mais bandez-moi les yeux dans mon royaume et je retrouverais toujours mon chemin. Près de moi je sentis très clairement mes compagnons ralentir. J'avais promis un siège et me dirigeais droit sur des rochers. J'ordonnai soudain à Delta de mettre les pieds dans l'eau et nous contournâmes le morceau de falaise qui prenait racine dans la mer. Derrière moi j'entendis les sabots des chevaux remuer le sable immergé, et sous mes yeux l'écume vint caresser les pattes de mon destrier. Quelques mètres plus loin j'aperçus enfin ce pourquoi j'étais venu. Deux trous béants et assez grand pour accueillir les mains d'un géant creusaient la falaise. Je m'enfonçai dans la grotte et, comme convenu, Elighan poussa l'armée à faire de même en se dispersant par les deux entrées. Les cavaliers et les hommes s'engouffrèrent sous la falaise, leurs pas résonnants sur les murs. Au plafond, vers le centre de la caverne, se formait une brèche presque aussi grande que les entrées, qui nous offrait une lumière bienvenue.

C'est à cause d'elle que je me figeais.

Devant moi, à la limite entre la mer et la terre, des hommes armés cachaient leurs visages derrière leurs casques, flanqués sur des chevaux. Juste derrière les rayons du soleil qui passaient à travers la fente, ils nous attendaient.

- Mon prince... ne devaient-ils pas n'être qu'une centaine ?

Le peu d'assurance qui transpirait dans la voix d'Elighan ne m'engageait pas à croire en la victoire. En l'espace d'un instant, je perdis tout contrôle sur mon cœur. Je l'entendais battre jusque dans mes tempes, une chaleur lancinante et désagréable grimpant vers mon front. Nerveux, Delta recula d'un pas pendant que le reste des hommes passait les ouvertures de la caverne. Mal à l'aise, je me sentais coincé entre deux armées, entre l'envie de foncer dans le tas et celle de déguerpir.

- Mon prince... insista le capitaine.

Qu'attendait-il au juste ? Je n'avais pas l'intention de présenter des excuses.

          Dacien avait dû me taper sur les doigts une ou deux fois pour capter mon attention lors de ces jours ennuyeux où il m'apprenait l'histoire, la géographie, les mathématiques... Mais le roi lui-même était témoin que je n'avais jamais eu besoin de personne pour écouter les leçons de stratégies militaires que me servait Galacken à l'époque. Sun Tzu était son plus grand mentor, il m'avait appris à l'apprécier. L'Art de la Guerre résidait dans les ouvrages les plus effrayants que j'avais eu loisir de lire, rien que par son objectif. Mettre fin aux conflits avant même qu'ils aient démarrés peut sembler utopique, mais Sun Tzu faisait preuve de trop de persuasion pour vous laisser douter. Parmi ses mots, j'en avais retenu quelques-uns. « Attaque ton ennemi quand il n'est pas préparé, apparais quand tu n'es pas attendu ». Visiblement, j'avais raté quelque chose. Alors que Delta avançait vers l'armée de mon père, il me revint en mémoire une autre de ses sages-paroles. « Si vous êtes inférieurs en tout point, soyez capable de vous dérober ». Je n'avais pas sa sagesse.

Delta s'élança d'un galop rapide qui combla la distance entre l'armée et moi en trop peu de temps. Si sa nervosité ne faisait aucun doute, il n'en restait pas moins le cheval d'un prince, entraîné et éduqué pour m'obéir. Alors que mon armure légère m'avait paru lourde durant le trajet, j'arrivais à en oublier le poids pendant que les chevaux ennemis se rapprochaient dangereusement de moi. Je tirai mon épée alors que derrière moi les sabots martelaient l'eau salée de la mer qui disparaissait au profit du sable et des graviers sous les pieds de nos adversaires. Lorsque j'atteins le premier rang formé par l'armée arkanienne, je reteins mon souffle sans même m'en rendre compte.

La vengeance d'un loup. Tome I : Le Prince DéchuWhere stories live. Discover now