XIX

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          Il y a des sons si désagréables qu'il serait plus juste de les appeler du bruit. Les pleures d'un bébé, le gloussement d'une poule, le couteau du boucher sur la planche... le tintement d'une cloche. Celui du château résonnait encore et toujours, lointain et pourtant omniprésent dans les couloirs que j'arpentais avec la même discrétion assumée que précédemment. Une chose avait changé cependant : ma tête était lourde de remord et de culpabilité, à tel point que je n'étais même pas réellement sûr de pouvoir me cacher entre deux piliers si une troupe de garde arrivait droit sur moi. Certainement resterais-je figé sur place, les images de mes retrouvailles avec Alix gravées sur mes rétines et défilant frénétiquement comme le cauchemar d'un môme à qui on a raconté trop d'histoires.


- Je veux que tu t'en ailles.

J'étais à genoux devant elle, à la merci du moindre de ses désirs et prêt à retourner une épée contre moi-même si tel était son souhait. Ses yeux brillaient de la lueur des larmes et son ton était hésitant, comme si son cœur voulait que je reste, mais que tout le reste voulait que je parte.

- Alix... je suis sincèrement désolé.

Elle était assise sur le lit, la tête baissée pour me regarder de ses yeux si verts. Ils étaient plus clairs quand ils étaient humides ; deux billes luisantes que je suppliais de me pardonner. J'aurais pu en avoir honte devant une autre, mais devant elle je me serais plié en deux pour lui embrasser les pieds.

- Va-t'en, répéta-t-elle alors qu'une larme glissait sur sa joue.

J'eus toute la peine du monde à me retenir de l'essuyer. Mon geste aurait été délicat, attentionné, et pourtant mal reçu.

Je me levai, sans toutefois me résigner à partir, figé devant celle qui m'avait gardé en vie ces deux dernières années.

- Va-t'en !

Elle me poussa si violement que je vacillai, surpris par son élan de colère. Il était temps pour moi de la quitter sans connaître le jour de nos prochaines retrouvailles. Mes yeux devinrent aussi humides que les siens et je rejoins la porte d'un pas pressé. Avant de tirer un trait sur son visage angélique et trop précieux à mes yeux, je lui soufflai quelques mots :

- Je t'aimerai toujours, sache-le.


Alors que je foulais les pierres du château, je doutais de la réciprocité de mes paroles, à tel point que je me demandais à quoi bon revenir un jour. Si elle ne m'aimait plus, la plupart de mes ambitions foutaient le camp. Il ne restait de moi qu'une coquille vide et sans saveur.

Après un temps qui me parut bien trop court, j'atteins la fin du couloir et l'escalier qui allait me mener vers la liberté. Je n'avais pas l'impression d'avoir croisé la garde mais j'aurai cru quiconque m'aurait dit le contraire.

Je descendis les marches lentement, attentif au bruit que mes pas engendraient, jetant des coups d'œil presque maladifs derrière moi. J'étais si près du but que l'idée même d'échouer maintenant me donnait des envies de meurtre. Je condamnai d'ores et déjà celui qui se mettrait en travers de ma route, quitte à devoir lui ôter la vie à la seule force de mes bras.

Mais alors que la fin des marches se profilait à l'horizon et que j'apercevais enfin la « porte de derrière », cette fameuse porte qui n'existait que pour permettre à la famille royale d'échapper à la mort, je me retrouvai plaqué contre un mur, mon épée projetée à l'autre bout du sas. Son bras en travers de mon cou, il arborait un sourire trop fier que j'eus envie d'écraser d'un coup bien placé. Je lui aurais fracturé la mâchoire s'il n'avait pas sorti son épée pour remplacer sa force. Désormais seule menace qui me tenait contre les pierres, sa lame aiguisée était à deux doigts de m'entailler la gorge.

La vengeance d'un loup. Tome I : Le Prince DéchuTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon