XXIV

1 1 0
                                    

          À mon grand étonnement, nous réussîmes à garder nos réserves intactes deux jours entiers, nous restreignant au strict minimum au fil des kilomètres. Ce furent autant d'heures qui nous avaient rapproché de notre but puisque nous arpentions un pont en pierre qui traversait la rivière marquant la frontière. Notre avancée était silencieuse mais reposante, et même Adrian avait choisi de se taire, sûrement épuisé par l'effort.

Pour nous accompagner, la pluie capricieuse faisait de temps à autre une apparition soudaine avant de disparaître pour laisser place à des nuages plus légers qui volaient plus haut. Le soleil était encore timide et je priais pour la fin des averses, car ma patience avait des limites trop peu étendues que mes cheveux trempés mettaient à rude épreuve.

Nous arpentions de petits chemins méconnus, certainement utilisés par les animaux sauvages ou les voyageurs perdus. Soudain la silhouette d'une route se profila à l'horizon, large chemin de terre au milieu des champs. On pouvait facilement y placer deux carrosses tirés par six chevaux. Dieu comme je rêvais d'un cheval...

Sur notre gauche, l'un des bosquets qui marquaient la délimitation entre les cultures se divisaient lui-même en deux. Vanha marqua l'arrêt, intriguée.

- Nous trouverons certainement quelque chose au bout de ce chemin, fit-elle en avançant sans nous demander notre avis.

Adrian haussa les épaules et lui emboita le pas, déjà convaincu. Je finis par les rejoindre, rabattant ma capuche sur ma tête.

Le chemin laissa place à un pont menant à une arche en pierre en haut de laquelle pendait une grille en fer noir. Derrière elle se dressait une bâtisse de trois étages, coiffée d'un toit en ardoise recouvert de mousse. Dans la cour entretenue tournaient ce qui semblait être deux gardes armés de lances et de boucliers. Adrian pointa un édifice sur notre droite, bien plus bas et plus long que celui qui nous faisait face.

- À eux, ça me gêne pas de voler des chevaux, dit-il tout bas.

Il était évident que nous ne pénétrerions pas dans l'enceinte du domaine, mais l'écurie était à plusieurs mètres de là et je doutais fortement de sa surveillance. J'acquiesçai avant de me faufiler entre les arbres qui bordaient la propriété.


          Le gardien de chasse de mon père avait la mauvaise habitude de s'endormir dans sa cabane, gardant soi-disant un œil sur les limiers du roi. Lorsque nous étions enfant, ma sœur, mon frère et moi jouions à un jeu aussi puéril qu'il était drôle : celui qui s'approchait le plus près des chiens sans réveiller le gardien avait gagné. Je me souvenais parfaitement l'énorme nez retroussé qu'affichait celui qu'on appelait « Grosse truffe », qui nous poursuivait en hurlant muni d'un bâton qu'il brandissait au-dessus de sa tête. Un craquement de branche suffisait à faire aboyer toute la meute.

Et ce chien-là ne faisait pas exception.

Nous sortions tout juste du sous-bois qui marquait la fin du domaine quand il se mit à émettre ses vocalises aussi graves que menaçantes. Pour être honnête, je n'avais jamais vu un chien d'une telle envergure, tout en hauteur et en muscles, terminé par des pattes qui devaient faire la taille de mes mains. Ses babines tombantes recouvraient d'énormes crocs qu'il laissait entrevoir par période, passant des aboiements aux grognements comme Grosse truffe poussait ses gueulantes et s'endormait aussitôt. Le plus sage aurait été d'opérer un demi-tour, mais j'avais assez marché pour le restant de mes jours, et je n'allais pas laisser un chien dicter ma conduite.

Je dégainai mon épée et osai quelques pas dans sa direction avant d'être tiré en arrière par une Vanha visiblement contrariée.

- Il faut le faire taire ! m'indignais-je par-dessus le bruit assourdissant de ses aboiements répétés.

La vengeance d'un loup. Tome I : Le Prince DéchuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant