39 - Jusqu'à la Fin

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~ Wyer ~

Je me souviendrai toujours de ma première sortie du Palais.

J'avais six ans, et j'étais si seul, à cette époque, que j'aurais pu mourir d'inertie, congestionnant dans mon propre air, si la solitude avait pu tuer. Enfermé entre les grilles du château, je grandissais sans bruit dans ma prison dorée. Le vide était ma seule famille — et je l'avais réalisé ce jour-là.

J'avais assisté à un thé matinal avec ma mère, qui était encore dans ces années-là le joyau de la Cour Weldrissienne. Las des conversations monotones des adultes, je m'étais assis dans l'herbe pour observer une famille fourmi faire ses provisions pour la journée, quand soudain, un cri m'avait fait sursauter : au centre du petit salon de jardin avait surgi un serpent. C'était sans doute la première fois que j'avais vu une quelconque émotion transparaître sur le visage de ma génitrice. Alors, tel un courageux chevalier sauvant ces précieuses dames d'un mortel péril, je m'étais avancé pour attraper la bête à deux mains. C'était un acte irréfléchi d'enfant. Le reptile m'avait sauvagement mordu dans le cou avant de s'échapper à l'ombre d'une haie.

Devant le regard indifférent de ma mère, j'avais éclaté en sanglots. Je voulais qu'elle s'inquiète. Qu'elle me demande si j'avais mal. Mais au lieu de ça, la froideur de ses yeux m'avait transpercé le cœur, et cela m'avait fait bien plus de mal que la morsure du serpent.

J'avais eu envie de m'échapper de cette vie. Alors après avoir fui en courant, j'avais grimpé sur le toit d'une calèche, et ainsi passé les portes du Palais.

Cette première sortie avait été un véritable choc. Les yeux grands ouverts, j'avais été confronté avec violence au-dehors, à ce monde qui était tout le contraire des barreaux dorés de ma prison. J'avais passé la journée à errer dans les rues sales de la capitale, effrayé par le moindre bruit ou la moindre personne. Un enfant est si facilement impressionnable... Affamé et absolument terrifié, je m'étais réfugié au fond d'une étroite ruelle. J'avais appelé ma mère. Sangloté. Mais il n'y avait eu personne pour me sauver, et le soleil avait fini par se coucher. La morsure du serpent n'était sûrement pas bénigne, car de terribles monstres avaient passé la nuit à danser autour de moi, tels d'immenses animaux à la gueule béante prêts à me dévorer. Soumis aux délires causés par le poison de l'animal, j'avais erré dans les rues, inconscient du monde.

Et au petit matin, je m'étais réveillé devant une immense bâtisse qui transpirait le luxe. Attiré par ce qui me rappelait l'endroit où j'avais grandi, j'avais passé la porte.

C'était à cet instant que j'avais perdu mon innocence.

Enfermés dans des cages dorées, comme celles auxquelles je comparais à ma vie, se trouvaient des êtres humains. Un homme m'avait accueilli : « Bonjour, jeune homme, que fais-tu ici ? Tu ne viens tout de même pas pour acheter un esclave, à cet âge-là ? ».

Il avait ri.

J'avais dévisagé ceux qu'on traitait comme des animaux. Des yeux pâles creusant un visage sale et rachitique avaient croisé les miens.

J'avais vomi tout ce que j'avais dans le ventre.


Je dégainai mon épée, et la lâchai sur le lit que j'avais cette nuit encore partagé avec Ezilly. Je la fixai quelques secondes, avant de sortir de la chambre. Mon épouse n'avait pas d'arme à elle, excepté sa petite dague. Et ce n'était pas avec ça qu'elle pourrait affronter ce qui l'attendait dehors.

Le bruit sourd d'une armée s'approchant de la capitale bourdonnait dans mes oreilles. Dans quelques heures, la ville serait submergée par cette vague de violence. En passant dans l'antichambre royale, je croisai mon reflet dans un miroir. Mes yeux auréolés de cernes noirs étaient grands ouverts, crispés par la terreur.

WE ~ Tome IIWhere stories live. Discover now