5 - Celle que Je ne suis Plus

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~ Ezilly ~

J ~ J

Fusant tel un éclair entre les herbes hautes, Onyx semblait défier toutes les lois de la vitesse. Jamais je n'avais vu un cheval galoper si vite. Le vent sifflait à mes oreilles, rejetait en arrière mes cheveux que j'avais laissé détachés, et faisait gonfler mon cœur d'une grisante sensation de liberté. Mon corps ne faisant qu'un avec ma monture, je calais mes mouvements sur son galop. La complicité qui me liait à l'étalon était telle que je n'avais pas besoin de lui donner le moindre ordre. Cet exercice avait été répété tant de fois : il savait ce qu'il fallait faire.

- Nous y sommes presque, Onyx, soufflai-je.

Et nous jaillîmes des herbes hautes givrées.

Ses sabots martelaient la neige, mais l'étalon n'y prêtait pas attention. Il avait l'habitude de galoper sous les tempêtes, les orages, les déluges de neige ; que le sol soit recouvert de givre ou que le ciel soit bleu, il restait le même. Rapide et loyal.

Il hennit, et je vis la seconde d'après l'ombre qui passa entre les arbres. Je n'eus pas besoin de dire un mot pour qu'Onyx se précipite vers elle. La neige avait tassé la végétation, et il n'eut pas de mal à traverser le sous-bois. Il fut bientôt à quelques mètres du cavalier. Mon cœur rata un battement sous l'excitation ; c'était le moment.

M'accrochant à la crinière de ma monture pour garder l'équilibre, je glissai mes pieds sous moi et m'accroupis. Il m'avait fallu plusieurs mois pour réaliser une telle figure ; mais à présent, je la maîtrisais parfaitement. Onyx accéléra une dernière fois, et le cavalier se retourna. À son expression, il ne s'attendait pas à me voir le rattraper si rapidement. Je profitai de l'effet de surprise pour bondir sur lui. Il bascula de son cheval et nous roulâmes au sol, la neige amortissant notre chute.

Avant qu'il n'ait le temps de reprendre ses esprits, j'étais assise sur lui, bloquant ses bras avec mes genoux et mon poignard lui caressant gentiment la gorge.

- Grâce à ma pauvre âme ! Je déclare forfait.

Un grand sourire éclairait le visage de Sho. Je lui souris à mon tour sans relâcher ma prise, et rapprochai mon visage du sien :

- On dirait que l'élève a dépassé le maître, cher grand frère.

- Je reconnais ma défaite, déclara-t-il avec une satisfaction mal cachée, alors éloigne cette chose tranchante de mon cou, veux-tu ?

Je bondis sur mes pieds avec souplesse, jubilant intérieurement. Quatre ans. Durant toutes ces années, je n'avais jamais gagné un seul combat contre Sho. Ce n'était pas pour rien qu'il avait été le maître d'armes du plus grand royaume du monde... Mais j'y étais enfin arrivée. Je l'avais battu.

Peut-être était-ce parce que j'avais eu dix-huit ans la semaine dernière, et que j'étais dorénavant une adulte ? En tout cas, après ces quatre ans de travail acharné, celui dont le véritable rôle – autre celui de maître d'armes ou de grand frère – était de me protéger, avait fait de moi une fameuse combattante. Je devais sans doute être la seule lavandière du pays – que dis-je, du continent – à savoir se battre en épée à cheval, tirer à l'arc, ou encore manier la dague. Enfin, peu de lavandières avaient déjà subi la torture, ou échappé de justesse à un assassinat... À côté de tout cela, frôler la noyade comme je l'avais fait hier était un accident presque banal pour une laveuse de linge.

- Je suis fier de toi, Ezilly.

Mon sourire se figea, et je détournai la tête. Shovaï... Quand vas-tu donc comprendre que ce nom me fait mal ?

WE ~ Tome IIWhere stories live. Discover now