22 - Ta Vérité

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~ Ezilly ~

Seule la faible lumière d'un chandelier éclairait la grande chambre froide. En un vieux réflexe économe, j'avais étouffé le feu de la cheminée, pour préserver le bois. Chauffer cet immense Palais était à mon avis des dépenses parfaitement inutiles. Ces derniers temps, le printemps semblait émerger sous la neige de Weldriss, et la brise se faisait douce – rien à voir avec le froid mordant de Malaï, pays cependant plus au nord que le nôtre.

Debout devant la fenêtre, je plissais les yeux pour tenter de distinguer quelque chose des jardins à travers l'obscurité de la nuit. Le soir commençait à devenir mon pire moment de la journée. Cela faisait maintenant trois jours que j'attendais ainsi, seule dans cette chambre vide, un fantôme. Je faisais les cent pas, m'occupais en me plongeant dans des livres, mais toujours, inéluctablement, mon attention était attirée par la porte, dans le vain espoir de la voir s'ouvrir sur Wyer. Chaque heure qui passait sans lui devenait un supplice, pour moi. Même lors de notre rencontre, à notre mariage, il n'était pas aussi détestable que cela avec moi... Son attitude actuelle me déroutait autant qu'elle me faisait mal. J'avais beau tenter de garder courage, de tenir bon, comme je lui répétais depuis nos retrouvailles, son agressivité allait finir par avoir raison de moi.

Lasse de ce manège que je jouais avec moi-même, je décrochais mon regard absent de la fenêtre et attrapai une longue cape noire dans la grande armoire en bois sculpté qui me faisait office de garde-robe – les affaires de Wyer semblant être restés dans sa chambre – puis sortis de la pièce, avant de toquer, quelques salons après, à la chambre personnelle du Prince. En l'absence de réponse, je poussai la porte. L'endroit était totalement vide, si dénuée de vie que j'en eus presque des frissons. Mais où diable était passé mon époux ? Je tournai les talons et émergeai des appartements royaux. Il était bientôt minuit, aussi les gardes furent surpris de me voir surgir dans le couloir, mais, fidèle à l'étiquette, aucun ne me fit de commentaire. Le couronnement était demain : ils devaient se dire que j'étais trop nerveuse pour dormir.

Je me rendis dans la grande bibliothèque, espérant y trouver celui qui était la raison de mon insomnie. En parcourant les étagères, de doux souvenirs me revinrent en tête. Nous avions passé du temps, lui et moi, ici. Je me rappelais particulièrement de la fois où, usant du peu d'autorité que j'avais, je l'avais sauvé des griffes de son professeur. Je perdis lentement mon sourire. Si, à l'époque, j'avais réalisé plus tôt mes sentiments... Notre destin aurait-il été différent ?

Ne le trouvant pas dans la bibliothèque, je traversai le Palais pour rejoindre la salle de réception, où nous avions également de nombreux souvenirs. C'était ici que Wyer s'était écroulé dans mes bras, alors qu'il dansait avec moi, et que j'avais eu l'impression que tout mon monde s'effondrait. Je n'ai jamais su ce qui lui était arrivé, ce soir-là, pensais-je. Il était si secret... Il avait beau m'avoir aimé, s'être sacrifié pour moi, jamais il ne m'avait entièrement ouvert son cœur. À croire que les années de solitude de son enfance l'avaient rendu aussi dur que du métal qu'on aurait laissé refroidir sans le forger.

Après m'être glissée à l'extérieur du Palais, je parcourus les jardins royaux dans le noir, à peine éclairée par la lune, enveloppée par la fraîcheur cinglante de la nuit. Autrefois, marcher ainsi, seule dans la pénombre, m'aurait terrifiée, mais mes années de lavandière à Malaï m'avaient transformée. Le courage que j'avais acquis était bien l'une des rares choses bénéfiques de la vie de Sia.

Après avoir fouillé les écuries, en vain – non sans rendre visite à mon cher Onyx – je me dirigeai vers la salle de combat, grand bâtiment à l'écart du château, où officiait auparavant Shovaï. Alors que j'avançai entre deux haies, un violent frisson me secoua et j'éternuai. Je resserrai la cape sur moi, d'affreuses pensées me traversant l'esprit. Lorsqu'on était du peuple, le moindre rhume pouvait être fatal, si l'on avait le malheur de succomber au froid de la nuit. Combien d'orphelins avais-je vu mourir, à Malaï ? Je voyais encore leur visage, leur nom, entendais leur voix. Surtout cette fois... Ce n'était qu'un enfant, un nourrisson, que l'on avait trouvé la veille devant notre porte. Il était si glacé et maigre que je ne l'avais pas quitté de la nuit, le serrant dans mes bras pour le réchauffer. Eck, Toa et les orphelins avaient passé la journée à lui chercher du lait, en vain. La misère nous tordait déjà le ventre de faim, il ne restait rien pour se procurer ne serait-ce qu'une goutte de lait, si cher. Cela n'était pas pour rien que sa mère l'avait abandonné.

WE ~ Tome IIWhere stories live. Discover now