4 - La Mort d'un Roi

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~ Wyer ~

Je connaissais la mort.

J'avais déjà tué. De mon trône, j'avais décidé de la vie de personnes comme si j'étais Dieu tout puissant. De mes propres mains, j'avais étranglé, poignardé. Je n'avais que dix-sept ans, mais mes mains étaient déjà recouvertes de sang. Il en était ainsi à la Cour.

J'avais aussi rencontré la mort en personne, ce même jour où elle avait refusé de prendre ma vie. Les médecins appelaient ça un miracle ; pour moi, ce n'était qu'un châtiment. Cet instant où mon cœur s'était arrêté de battre, immobilisé par le poison qui me dévorait... Je m'étais sentis sombrer, et j'avais eus mal, plus qu'un seul être était capable de supporter.

Puis je m'étais réveillé, affreusement vivant. Le monde était soudain réapparu devant mes yeux. Ma poitrine se soulevait, le souffle s'échappait de mes lèvres, mon cœur avait repris sa danse ; et j'avais alors réalisé que pour une raison qui m'était inconnue, j'étais toujours en vie.

Je connaissais la mort par cœur. Je n'oubliais pas le sentiment de terreur qui nous prenait à la gorge au moment où l'on réalisait que l'on venait de tuer quelqu'un. Je savais la douleur qu'elle infligeait à ceux qui restent, traçant de profondes cicatrices dans leur cœur. Je savais aussi ce qu'était réellement mourir. Puis la terrible sensation du cœur qui recommence à battre. Mais j'avais beau avoir côtoyé tant de fois la mort, elle me faisait toujours aussi mal.

- Père.

Je glissai une main entre les voiles du lit, et m'approchai du visage blafard du Roi. Il riva lentement un regard vitreux sur moi. Il entrouvrit les lèvres, les bougea comme s'il souhaitait articuler quelque chose, mais aucun son n'en sortit. Son esprit était déjà à mi-chemin du monde des morts.

J'oubliai alors cette chambre, les médecins qui m'entouraient, ma mère recroquevillée dans un coin de la pièce. Tout ce que nous entourait avait disparu de mes pensées. J'étais désormais seul, dans un dernier face à face avec mon père.

Ma carapace se brisa et je cédai la place à l'enfant qui se cachait en moi.

- Pardonnez-moi, je vous en prie, murmurai-je. Je ne suis pas une bonne personne. Je suis incapable, égoïste et indifférent. Je ne peux pas diriger un pays. Alors vous ne pouvez pas mourir... Pas maintenant. Ne laisser pas un tel héritier au royaume. Vivez... Ne me laissez pas ainsi...

Je posai le bout de mes doigts sur la peau glacée de mon père. Une larme ronde et brûlante s'écrasa sur sa joue. Tandis qu'une seconde larme roulait sur mon visage, je sentis la souffrance envahir mon corps et mes pensées, pour ne plus laisser de place qu'à l'angoisse innocente d'un petit garçon perdu.

- Tu... pleures. J'a... J'avais peur que tu n'aies... perdu ton cœur, mais... tu pleures, Wyer.

J'ouvris grand les yeux, plongeant mon regard dans celui du Roi. Un ultime sourire s'était dessiné sur ses lèvres pâles. Je le saisis par les épaules, désespéré.

- Ne partez pas. Ne m'abandonnez pas...

Je hoquetai de douleur quand je vis ses paupières tomber doucement. Je hurlai, le suppliai encore et encore de résister, de se battre, de rester. Mais ses paupières se fermèrent. Alors que je le fixais, immobile et terrifié, sa tête bascula doucement sur le côté. Et quand, sous ma main, sa poitrine cessa de se soulever, je compris.

Je compris que mon père était mort.

Je glissai lentement mes mains tremblantes derrière son dos et le serrai tendrement contre moi. Je sanglotai silencieusement en lui murmurant de reposer en paix. Ce n'était plus qu'un cadavre, à présent. Mon père était parti.

WE ~ Tome IIWhere stories live. Discover now