15 - Entre Haine et Amour

606 59 8
                                    


~ Wyer ~


        Lorsque ses mains se glissèrent dans mon dos, mon cœur cessa de battre. Immobile, je sentis sa tête se poser contre mon torse, ses doigts agripper d'un geste désespéré ma courte cape, comme si j'étais un oiseau qu'elle voulait retenir un peu plus longtemps à terre. Devant nous, les aristocrates s'agitèrent, offusqués d'un tel manquement à l'étiquette, mais à cet instant, ils étaient la dernière de mes préoccupations. Les yeux grands ouverts de stupeur, je n'arrivai plus à réfléchir. Son parfum m'enivrait, bien plus que tous les vins et bières que j'avais pu boire dans ma vie. Je n'avais jamais eu autant de mal à retenir les larmes de s'échapper de mes yeux brûlants.

- Wyer... Tu m'as manqué, murmura-t-elle.

Lentement, sans même savoir qui contrôlait mon corps, je sentis ma main se lever pour resserrer mon étreinte autour d'Ezilly. Un sourire tremblant d'émotion étira les commissures de mes lèvres. Je l'ai retrouvée.

Et soudain, un terrible souvenir ressurgit de mes pensées. Je me revis, mes bras entourant la taille frêle de celle que j'aimais, figé devant la vision de la mort qui filait droit sur elle, sous la forme d'une flèche empoisonnée.

La présence d'Ezilly au Palais ne signifiait qu'une chose : une épée suspendue au-dessus de son cou, prête à s'abattre au moindre instant.

Ma main levée pour l'enlacer l'arracha brusquement à moi. Elle tituba en arrière, l'air aussi perdue que si je venais de la jeter en plein désert. Ses grands yeux baignés d'incompréhension se rivèrent sur moi. Je serrai les poings et redressai la tête, puis me fis violence pour la foudroyer du regard. La peur et la souffrance qui m'envahissaient crispèrent mon visage, devenant à ses yeux de la fureur face à son étreinte.

- Je crois que vous outrepassez vos fonctions, Princesse, sifflai-je.

Je vis tout de suite l'éclair de douleur qui la traversa. Elle recula comme si je venais de la poignarder en pleine poitrine.

- Wyer ? Qu'est-ce que...

- Avez-vous oublié vos manières ?

La larme qui roula sur sa joue me brisa le cœur. Pardonne-moi, Ezilly. Je n'ai pas le choix.

Reprenant un tant soit peu ses esprits, elle s'inclina en une révérence maladroite. Ce fut en regardant derrière son épaule pour éviter de me perdre dans ses yeux bleus que je déclarai d'une voix tranchante :

- Je vous souhaite un bon retour dans votre royaume, Mademoiselle De Carminn.

Un souffle de stupeur parcourut la foule. Je ne bougeai pas d'un cil. Si je devais rejeter Ezilly devant toute la Cour pour qu'elle se maintienne loin de moi, alors je n'avais aucune hésitation à le faire. Par ce « Mademoiselle De Carminn », je venais de renier officieusement mon épouse.

Le regard égaré dans le vide, Ezilly s'avança pour s'asseoir sur le trône voisin du mien, celui de la Reine.

- L'heure n'est pas au repos ma chère, il nous faut ouvrir le bal.

- Bien... Bien sûr, bredouilla-t-elle en se relevant derechef.

Je lui tendis mon bras, elle posa sa main tremblante dessus, comme si elle craignait de me mettre en colère en s'appuyant trop sur moi. Cette scène me projeta à nouveau dans le passé, lorsque quatre ans plus tôt, j'avais dansé pour la première fois avec Ezilly. Tout était exactement pareil ; pourtant, tout avait changé.

WE ~ Tome IIWhere stories live. Discover now