& 26 ; Porter un masque

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Son corps avait tremblé d'un bout à l'autre de l'entretien. Maintenant qu'il était assis dans le salon de son hôtel, il tremblait encore et était à deux doigts d'hyperventiler. Assis dans le fauteuil en face de lui, alors qu'une petite table ronde les séparait, l'homme remonta ses lunettes sur son nez trop long avant de passer sa main dans ses cheveux. Un sourire trop fin étira sa bouche, il essayait d'avoir l'air sympathique mais il ne l'était pas. Et ça, Magnus le savait déjà. Il l'avait su à la seconde où l'homme l'avait appelé, une heure plus tôt, et s'était présenté comme l'avocat de « M. X ».

Oui, M. X. Autrement dit son père qu'il avait vu le matin même après avoir passé deux heures à attendre qu'il accepte de lui accorder un peu de son si précieux temps. Pendant deux heures, il avait angoissé et s'était demandé pourquoi il avait décidé de revenir ici. Il y avait peu de chance que son père ait changé, même en six ans, et le fait qu'il le laissait attendre en était la preuve. Comme il l'avait craint, ça ne s'était pas bien passé. Sous le regard froid de son père, il l'avait pratiquement imploré de lui donner un travail, luttant contre l'angoisse, les nausées et les larmes. Travailler dans un restaurant, même celui d'un hôtel de luxe, était largement dans ses capacités, il y croyait... Et elle aussi.

En se retrouvant en face de son avocat à l'air pincé, il avait compris quelle était la réponse de son père. Enfin, il l'avait cru. Mais pourquoi avait-il envoyé un avocat ? Une serveuse vint prendre leurs commandes et le silence s'installa jusqu'à ce qu'elle ramène les deux cafés. Finalement, l'homme sortit des liasses de papier. Dans son langage pompeux, prétentieux et hautain, il expliqua à Magnus que M. X lui proposait une somme scandaleuse pour disparaître de sa vie, pour ne jamais dévoiler qu'il est son fils illégitime, pour ne plus jamais provoquer la moindre esclandre. Comme s'il avait déjà fait ça.

Les doigts vernis de Magnus se refermèrent autour de l'anse de sa tasse qu'il porta à sa bouche pour boire une gorgée de café chaud, le temps de se redonner une contenance. Il était choqué. Il était outré. Et pourtant tout était tellement clair qu'il avait envie de rire. De ce rire désespéré qui lui échappait parfois quand il regardait en arrière et pensait à sa vie. Ce rire glauque avec une pointe d'hystérie. Il se retint. L'avocat lui tendit un stylo. Le genre de stylo que jamais plus Magnus n'aurait dans les mains, parce que qui s'achetait un stylo à plusieurs milliers de dollars ? Il reposa sa tasse et sa main se tendit vers le stylo sans le prendre. L'avocat parlait encore, insistant sur le fait que, s'il n'acceptait pas, M. X finirait par aller voir la police pour qu'il arrête de faire irruption dans sa vie.

— En vingt-neuf ans, il m'a vu deux fois. Il me semble qu'on est encore loin du harcèlement.

L'avocat ne réagit pas. Évidemment, c'était un avocat. Magnus attrapa le stylo et commença à lire pendant que l'avocat continuait à parler. Sous le ton professionnel, il discernait les menaces. M. X était quelqu'un d'important. M. X avait beaucoup d'argent. M. X devait se protéger des gens malintentionnés. Magnus avait envie de pleurer, il se sentait humilié. Il n'avait demandé à cet homme qu'un travail pour se sortir de la situation dans laquelle il était et qui était presque pire que quatre mois auparavant puisqu'il avait encore plus de dettes. Au moins, il ne vendait plus son corps. Mais tous les jours, il devait faire face à son propriétaire qui le regardait comme un morceau de viande. Parfois, il le plaquait contre le mur du couloir pour lui proposer de coucher ensemble à nouveau pour payer son loyer toujours en retard. Chaque semaine, un nouvel avis d'éviction le narguait sur sa porte. Il devait partir de cet appartement mais il n'avait pas les moyens.

Son regard se posa sur la suite de chiffres signifiant la somme que M. X était disposé à lui offrir en échange de sa discrétion. C'était largement suffisant pour rembourser toutes ses dettes, à l'hôpital de New Haven, à l'hôpital de Boston, au centre, à son propriétaire. D'abord, il avait vendu son corps. Cette fois, il vendait ses origines. Il signa en essayant d'ignorer la bile qui lui montait dans la gorge.

Our Complicated Whatever [Malec AU]Donde viven las historias. Descúbrelo ahora