Chapitre 32 : Aimer à perdre la raison :

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Au fils des années j'étais devenue une ombre. Andréas et Béata ne revinrent jamais et Laïka elle-même m'avoua un soir qu'ils avaient disparu l'un comme l'autre, laissant auprès de Yélana une paire de faux jumeaux nommés Ryder et Honeymaren. Quand je lui avais demandé pourquoi elle ne s'en était pas occupée, elle m'avait répondu qu'elles s'étaient disputées quelques temps après la naissance de Kaspian car ma fausse Belle-sœur commençait à avoir des soupçons sur les agissements de son mari. Elle était déjà enceinte des jumeaux à ce moment-là. Laïka, plutôt traditionnaliste l'avait remis sur le droit chemin en lui disant qu'elle ne devait pas aller à l'encontre d'Andréas car il demeurait son mari. C'était la dernière fois qu'elles s'étaient parlées. J'avais essayé de tempérer. De lui faire comprendre qu'il valait mieux perpétuer la tradition familiale de l'apprentissage des guérisseuses à la petite Honeymaren mais elle m'avait soutenu qu'elle préférait être la dernière plutôt que de renouer avec cette famille qu'elle ne considérait plus comme la sienne. Sa sentence m'avait marquée et meurtrie me renvoyant à mon propre échec d'apprentissage. Nous n'avions pas osé nous le dire l'une à l'autre mais nous savions que sans véritable chamane et de surcroît sans guérisseuse, le peuple du Soleil finirait par s'éteindre. Quant au petit Kaspian, il demeura introuvable et nous supposâmes qu'il fut mort tout comme sa mère et son père.

Bien entendu...Après mes multiples tentatives pour lever la brume et rejoindre ma fille la perte de mon petit frère et sa compagne était à ma plus grande horreur le cadet de mes soucis. Ils étaient comme Papa, Maman, Elysia, Pieter, Iduna et Olaf... Ils m'avaient abandonné. De gré ou de force peut-être, mais ils m'avaient laissé seule.
Si je voyais Laïka et Yélana une fois par an, c'était un miracle pour l'une et une tâche pénible pour l'autre. Ma meilleure amie tout comme moi devenait de plus en plus aigrie au fil des années. Je ne pouvais néanmoins pas lui enlever qu'elle était devenue une cheffe excellente et que notre amitié malgré nos désaccords était toujours aussi solide que du roc.

Comme je m'étais promis, j'avais consacré ma vie à prendre du recul et à réfléchir sur les différentes situations de la vie. A penser. A prier et à relater les différentes vies à Ahtohallan pour pouvoir analyser les causes et les conséquences.

Dix ans passèrent ainsi...

Je venais de me lever. Il était rare que je me rappelle la date du jour qu'il était puisque je n'y prêtais plus attention depuis bien longtemps. Toutefois en sortant de la maison en ce matin du treize décembre, j'aperçus un petit bouquet de vesces d'hiver accompagné d'un mot :

« Un joyeux anniversaire à l'une des plus grandes chamanes qui le serait encore aujourd'hui si elle n'avait pas défié les coupoles...Ne lève pas les yeux au ciel je te vois ! Je ne pourrai pas passer mais je penserai à toi, avec toute mon affection.
Yélana.
»

Je souris ne lui ayant jamais avoué que les Dieux s'en fichaient de nous même si l'équilibre de l'Yggdrasil n'était plus que sur un fil. Je mis sa carte dans mon corset et emportai les fleurs pour qu'elles fassent un peu de gaieté dans la maison.

Un grognement dehors me fit alors à nouveau sortir et je fus surprise de constater que mes amis les Géants m'attendaient avec un énorme caillou en guise de cadeau.

-Merci ! Leur lançai-je.

Ils me prirent et me serrèrent contre leurs torses de pierre comme avant...Comme toujours... Je parlai un peu avec eux puis ils me laissèrent et retournèrent dormir près des berges sans doute.

-Bien... Que vas-tu faire de ta journée Anna Piceaerd ? Me demandai-je à voix haute, tu n'as pas tous les jours quarante-cinq ans !

J'avais pris l'habitude de parler toute seule. Au début j'avais un peu eu l'impression de perdre la tête avant de finalement me rendre compte que cela me faisait du bien et me permettait de ne pas devenir folle justement. J'inspectai ma maison et si petite soit-elle, elle était dans un état monstrueux.

-Oui...C'est bien beau de vouloir acquérir la sagesse mais il faudrait aussi que je fasse le ménage... Un peu de rangement lui fera le plus grand bien à cette demoiselle ! M'écriai-je.

C'était aussi un moyen détourné de me débarrasser de mon passé. Je commençai par trier les plantes et autres poudres dont je n'avais plus besoin puisque mes leçons de chamanisme étaient devenues rarissimes. Je m'attaquai ensuite à la partie la plus pénible : Trier les souvenirs de mes proches. Oh bien sûr ! Beaucoup avaient déjà été délaissés par le passé mais il était plus difficile de se détacher de certains objets comme les premiers vêtements d'Iduna et Olaf ou encore le bâton de meneur de rennes d'Elysia.

-Il faut le faire Anna ! Sans cela tu n'arriveras pas à avancer ! Me grondai-je.

Je faillis chanceler mais rassemblai bientôt lesdites affaires sur la table. Puis je respirai un grand coup et murmurai :

-Courage...Tu n'en as plus besoin de toute façon.

J'agrippai enfin les affaires et les odeurs surgirent instantanément. Non...Il ne fallait pas que je me laisse envahir par mes émotions, pensai-je. Cela me fut très difficile mais je parvins à me détacher de tout sentiment. Resserrant plus fermement les trois objets, je me dirigeai vers la Mer Sombre et les jetai enfin à l'intérieur. Le Nokk m'envoya aussitôt une gerbe d'eau et je lui criai tout en restant quand même à une certaine distance :

-Ne râle pas et fais comme d'habitude !

Il hennit de mécontentement mais s'exécuta quand même. J'attendis qu'il s'en aille pour avoir quelques remords et pleurai amèrement. Puis j'essayai de me raisonner :

-Les vêtements de bébé n'auraient pas resservi de toute façon...Et le bâton d'Elysia non plus étant donné que je ne fais plus mes longues marches.
L'esprit de l'eau revint quelques minutes plus tard sans les trésors jetés à la mer. Il se posta devant moi et attendit que je lui donne autre chose.

-Ça sera tout ! Lui confiai-je, merci pour ta coopération.

Il hennit une dernière fois et je retournai rapidement me terrer dans ma hutte. Elle était déjà plus propre mais des souvenirs personnels étaient encore présents. De ce fait, je fouillai dans un coin de ma chambre que j'avais totalement oublié. Et pour cause c'était tout ce qui touchait à Pieter et les Arendellien.

-Oula...Je vais au moins faire la poussière, commentai-je alors que la gorge me piqua.

J'éternuai immédiatement. J'astiquai ensuite le vieux pendentif que m'avait donné le roi Runeard à la naissance d'Iduna et ma robe de mariée de mon deuxième...Enfin...Mon vrai mariage. Alors que je ne pus m'empêcher de passer la main sur la mousseline verte anis, je rencontrai bientôt une bosse.

-Oh ? Mais qu'est-ce que...M'étonnai-je.

Je passai immédiatement mes doigts à travers le tissu et en ressortis bientôt « Croqué par le crocus » de la Duchesse de Funningur.

-Ah...Donc tu étais là toi, murmurai-je alors que l'odeur du papier jauni atteint tout de suite mes narines.

Intriguée comme autrefois, je commençais à feuilleter les pages. Certaines étaient plus marquées que d'autres et je me surpris à rougir.

-J'avais listé tous les passages érotiques... Je les trouvais tellement sensationnels à l'époque, chuchotai-je.

Je relus rapidement lesdits passages et ressentis une chaleur aux creux de mes reins.

-Bien...Ce n'était pas si extraordinaire que ça finalement, répliquai-je déçue par les descriptions trop vues par les hommes.

Sans m'en rendre compte, j'allai m'installer sur mon lit et pénétrai dans le roman avec un sentiment de temps arrêté. Ce ne fut qu'au bout d'un moment lorsque je levai enfin la tête que je compris l'heure qu'il était. Mes yeux fixèrent à nouveau le livre et la déclinaison du soleil. L'ouvrage était presque terminé.

-Bilan de tout ça...L'histoire est pas mal mais manque un peu de sensualité féminine, déclarai-je en relisant certains passages pour accentuer mes propos.

Sans en prendre vraiment conscience, je me relevai bientôt du lit, allai chercher un papier et un crayon et m'installant rapidement à ma table, je reformulai le passage avec mes mots.

Retour vers le passé 2 : Les souvenirs d'une grand-mère :Where stories live. Discover now