La culture du cliché

Le male gaze

Pour clore le dernier jour de cette année bien pourrie que fut 2020, voici une petite rubrique spéciale cinéma. Si vous ne l'aviez pas encore remarqué, je suis cinéphile et si le scénario d'un film m'intéresse, sa conception artistique est mon ambroisie, mon péché mignon : comment est dirigée la lumière et la caméra, que représente la coupe et les couleurs des costumes, quelle symbolique pouvons-nous retrouver dans une colombe blanche qui s'envole au-dessus d'un ancien champ de bataille ou tout simplement, pourquoi tel choix de personnages ou d'acteurs.ices ?

Les films, si j'en aime énormément, ont tous été majoritairement été réalisés dans un univers masculin. Dites-moi donc le nom de réalisatrices de films ? Non ? Pour moi non plus, si ce n'est que les réalisatrices de Steven Universe et de She-Ra et les Princesses au Pouvoir, respectivement Rebecca Sugar et Noelle Stevenson, et ce sont des séries. Ah, j'ai bien Cathy Yan qui a réalisé le film Birds of Prey qui est sorti cette année, mais voilà. Futures scénaristes, je crois en vous !

Parlons male gaze. Kesako ? Le male gaze (ou regard masculin) est un phénomène que l'on retrouve dans l'art, la photographie ou le cinéma, là où il est question de représentations féminines. 

Dans l'art pictural, beaucoup de corps féminins sont représentés nus sous la forme d'un idéal, une Vénus désirable ou une Sainte Vierge, tout cela sous le pinceau ou les outils pour tailler la pierre de l'artiste, bien évidemment un homme. 

Dans la photographie, surtout du côté des pubs, le male gaze est on ne peut plus présent. Pour vendre un produit, il faut rendre le modèle qui pose avec, imaginons un sac à main, agréable au regard. J'ai vu par exemple dans un magazine de 2006 deux femmes poser pour une marque de sac à main de luxe : eh bien je me demandais si c'était le sac qu'on voulait nous montrer ou alors les longues jambes fines et lisses des deux femmes. Cela frôle le sexisme et l'hypersexualisation, délicieux.

Dans le cinéma, le male gaze est quelque part très intéressant à observer. Prenez Transformers de 2007 dirigé par Mickael Bay. Un des personnages, Mikaela, est une jolie brune qui sert de love interest au personnage principal et le réalisateur, ne voulant pas seulement la mettre au rang de perso inutile seulement présent pour faire joli, en a fait une mécanicienne. A un moment du film, la voiture que le garçon conduit tombe en panne et Mikaela se met en charge d'ouvrir le capot pour la réparer.

Le garçon sort de la voiture et est visiblement impressionné par ses talents de mécanicienne, puis ses yeux se dirigent très vite sur le corps sexy de la dame qui est habillée bien court (c'est peut-être l'été après tout). Si on pouvait faire abstraction des vêtements, le plan filmé par la caméra et la lumière de la scène sont pourtant en train de nous dire que là, le corps de la femme est important par son aspect désirable (et c'est comme ça tout le long du film).

Un autre exemple : Suicide Squad avec Harley Quinn. Dans le film, les plans sur elle sont très souvent cadrés au niveau de sa poitrine et peu à celui de son visage (le cas le plus flagrant étant au début du film où elle se rhabille, matée en plus par tous les hommes présents alentour). A un autre moment, Quinn est habillée très légèrement pour danser suggestivement autour de son homme, ce qui m'a laissé un sentiment de "meh". Quoi qu'il en soit, elle n'était pas bien représentée dans le film (qui lui non plus n'a pas été une grande réussite).

Mais dans Birds of Prey, ce n'est plus du tout la même chose : le personnage de Quinn reprend des couleurs, construit un peu plus sa personnalité, après tout c'est son film. Quasiment tous les plans sont au niveau de son visage et lorsqu'elle est filmée en entier, c'est pour la représenter, pas l'objectifier. Aussi, elle s'amuse à une barre de pole-danse, elle s'habille de toutes les façons possibles sans que cela ne se sente forcé, bref c'est un personnage de film, le male gaze est absent dans cette suite.

Quand je vois les deux Harley Quinn des deux films, je sens nettement une énergie différente.

Est-ce que ça veut dire que le female gaze est meilleur que le male gaze ? Est-ce que le female gaze devrait-il faire comme le male gaze ? La sensualité chez un personnage est un détail comme un autre, mais mettre un personnage sexy ou le rendre sexy juste pour émoustiller la galerie, c'est bâclé, c'est fainéant et ça renforce pour les personnages féminins le sexisme et l'objectification de leur corps.

Humblement