PDV RAIN
Je ne sais pas exactement ce qu'il s'est produit entre le moment où Hunter a évoqué Ian sans le savoir, et le moment où je me réveille maintenant seule dans un lit humide.
La lumière du jour envahit la petite pièce de ma chambre, et m'agresse les yeux au passage. Je m'étire rapidement et constate que j'ai toujours les vêtements que Hunter m'a passé. Mais tout est flou, comme emmêlé dans un tissu de souvenirs troubles. Je secoue la tête et passe une main dans mes cheveux. Je n'ai pas rêvé. La garden-party, la rencontre avec ses parents, sa soeur et son horripilant cousin, tout est arrivé. Même ses baisers.
En particulier celui échangé sous la pluie. Il me redonne des frissons rien qu'en n'y pensant.
Seulement ce matin il n'est pas là. Le travail sans doute.
Le travail.
Mon article ! Il faut que j'aille rendre en main propre mon article ! Je bondis de mon lit et fouille dans ma pochette en quête de mon téléphone portable. Je titube un peu, mais je réussis le trouver. Il a miraculeusement été épargné par la pluie de la veille. Et sans grande surprise, je découvre que je suis en retard.
Dans la précipitation, j'enfile les premiers vêtements qui me viennent, un jean et un t-shirt blanc. Je chausse des converses dans la foulée. Je jette un oeil rapide au miroir, et observe mes joues remplies de mascara. Je passe un coup de démaquillant sans m'attarder sur mon maquillage. Etrangement, mes cheveux ne font pas si peur que ça. Il me reste quelques boucles de la veille. Je décide de les structurer avec mes doigts. Pas une réussite, mais je m'en contenterais. Je n'ai plus le temps !
Je pense quand meme à me laisser une note : URGENT, changer les draps.
M'emparant de mon attaché-case et d'un manteau, je quitte mon appartement en dévalant les escaliers comme une dingue. Ce n'est que en bas que l'idée de l'ascenceur me vient... Il faut vraiment que je remette de l'ordre dans mes pensées !
Je hèle le premier taxi, voulant éviter de rester trop longtemps dans ce froid infernal.
Quelques minutes plus tard je suis devant le journal. J'entre rapidement dans le bâtiment. Je salue Ava, la réceptionniste.
"Salut Ava, comment vas-tu ?"
Elle décoche un sourire complice en me voyant.
"Rain ! Ca fait un moment que tu n'es pas passé. Tout va bien ?"
"Parfaitement bien, j'avais du travail" dis-je, esperant couvrir mon manque de certitude "
"Je comprends oui, ça te dis de déjeuner ensemble, j'aimerais beaucoup te parler"
Je pose mon attaché-case à mes pieds et m'approche du comptoir.
"Bien sûr Ava, je vais rendre mon article à Coleen et je suis à toi. D'ailleurs pourrais-tu la prévenir que je suis là ?"
"Désolée Rain, Coleen s'est absentée, tu veux que je contacte Monsieur Briscoe ?"
J'acquiesce d'un mouvement de tête. D'habitude je rends mon travail à Coleen pas au boss !
Ava redresse aussitôt ses lunettes et contacte Auberon Briscoe aussi connue sous le nom de mon patron.
Moi aussi j'aimerais beaucoup reparler à Ava, c'est une bonne personne, je sais que je peux discuter avec elle librement de ce qui me tracasse sans qu'elle ne me juge. Elle ne me connaît pas comme Naomi, et je nous envie cette légère amitié.
"Monsieur Briscoe, Mademoiselle Viola demande à vous voir...Oui c'est bien ça... Bien je vous l'envoie Monsieur"
Ava raccroche, puis replace une mèche de son chignon.
"Super Rain. Mais prends ton temps, nous avons encore deux bonnes heures devant nous. Oh et c'est le douzième étage, deux grande portes noires, tu ne peux pas les rater." m'informe-t-elle en pointant l'immense couloir à gauche.
"Bon eh bien, je file alors merci Ava"
Je lui adresse un dernier regard, saisit mon attaché-case et cours en direction des ascenceurs. J'atteins le douzième étage rapidement. Les deux grandes portes noires du bureau de Briscoe dominent ma petite taille. Je toque deux petits coups sur le bois. Une voix grave m'intime d'entrer. J'actionne la poignée dorée tout à coup peu sûre de moi. Mes narines sont emplies par une odeur masculine. De l'after shave ?
Briscoe est dos tourné face à une vue à couper le souffle sur la capitale. On dirait qu'il tient quelque chose dans ses mains, ses bras ne sont pas ballants.
La pièce est illuminée par le panorama offert. Je ne suis entrée que une ou deux fois dans son bureau et l'immensité du lieu me frappe encore. Un gigantesque bureau en verre est placée au fond, avoisinant un fauteuil en cuir noir et deux autres plus banals en face. Il y a même un mini bar ! Je ne m'en souvenais pas à moins que ce soit nouveau ?
Une bibliothèque chargée borde un mur et plusieurs tableaux sombres en meublent d'autres. J'avance prudemment devant son bureau. Les épaules larges de Briscoe me narguent. Son costume bleu nuit dessine parfaitement les traits de sa silhouette.
Je m'apprête à l'interpeller quand il se retourne enfin.
"Bonjour Monsieur" fais-je en essayant de paraître le plus professionelle possible.
Il avance d'une démarche sûre vers son bureau. Une cravate noire -que je n'avais pas vu avant- surplombe une chemise en lin. Je ne sais même pas l'âge qu'il a, mais tout à coup, il me semble plus jeune que dans mes souvenirs. Ses cheveux bruns sont parfaitement coiffés, sa barbe est rasée de près et son costume a l'air fait sur mesure. Mais ça, ça reste une hypothèse.
Il dépose un dossier sur son bureau. D'un geste de la main je comprends qu'il m'invite à m'asseoir. Je m'exécute en silence. Je laisse trainer mes affaires sur le fauteuil à ma gauche, allant même jusqu'à enlever mon manteau.
"Bonjour Mademoiselle Viola. Comment allez-vous ?"
Sa question me prend de court. J'y réponds indécise.
"Bien merci Monsieur Briscoe" dis-je en tripotant mes doigts.
"Appelez-moi Auberon si vous le voulez" lâche-t-il avec désinvolture.
Je me fige à cette simple idée. Nous ne sommes pas si intimes. Que se passe-t-il bordel ?
"Je préfèrerais garder le Monsieur Briscoe si ça ne vous dérange pas"
"Votre choix, même si j'aimerais le savoir tout autre. Vous vouliez me voir si je ne me trompe ?" m'interroge-t-il de sa voix suave.
Suave ? Je m'égare mais pourtant ça y ressemble. J'observe le jeu de sa mâchoire quand il parle et le mouvement de ses lèvres presque charnues. Je ne me savais pas si observatrice.
"Euh... Eh bien j'avais un article à rendre à Coleen, euh pardon... Madame Ross, mais elle n'était pas présente. On m'a donc dirigé vers vous"
Ses longs doigts tapotent la table de leur bout. Depuis qu'il a daigné me regarder, ses yeux brillants ne me quittent plus ce qui a pour effet de me déstabiliser complètement.
"Je vois. Puis-je jeter un coup d'oeil à votre travail Rain, il me semble que c'est votre prénom ?"
Mes joues s'empourprent dans la minute, et je regrette soudain de ne pas mettre maquillée. Ca aurait été moins visible ! Une question me turlupine. Comment fait-il pour se souvenir de mon prénom alors que je ne l'ai vu que très rarement depuis que je travail au sein du journal ? Je crois que mon ego est flatté.
"Effectivement" j'ajoute en sentant mes mains devenir moites.
Je saisis mon attaché-case et en sors mon article imprimé. Je pose le dossier sur la table d'un geste brusque. J'ignore encore pourquoi. Est-ce le fait que je rends mon travail à mon patron en main propre qui me gène ou le fait qu'il est plus séduisant que ce que je pensais ? Quand suis-je devenue si peu pragmatique ?
Rien ne sert de s'alarmer. C'est mon patron, c'est mon patron bordel ! Et puis il y a Hunter, pour qui je développe des sentiments que je ne peux pas encore nommer.
Horrible destin qu'es-tu en train de me faire !?
Les yeux de Briscoe s'attardent sur le papier et pour la première fois depuis que je suis en sa présence, j'ai le sentiment de souffler. Quelques minutes plus tard, alors que je perdais patience, Briscoe relève la tête, un sourire satisfait pendant à ses lèvres.
"Le magazine accueillera avec intérêt votre article sur l'homme en société"
Je souris à la fois de soulagement et de triomphe. Coleen aurait sûrement trouvé quelque chose à redire. Mais lui il ne me montre rien. Ou alors il s'en fiche complètement, et je lui fais perdre du temps. Cette idée m'agace tout à coup. Je ferais mieux de partir.
"Bien dans ce cas je vais vous le laisser et disposer" je lance en me levant brusquement.
Sans grande surprise, Briscoe me coupe dans mon objectif premier, quitter cette pièce avec toute ma dignité.
"Où courez-vous comme ça Rain ? Etes-vous pressée ?"
Mes jambes engourdies m'obligent à me rasseoir. Cet homme me déconcerte à un point indéchiffrable.
"Non, je pensais que vous étiez occupé donc je ne voulais pas vous importuner plus longtemps" dis-je en effectuant des ronds circulaires sur mon jean de mon pouce.
"Vous ne m'importunez pas" répond-il fermement.
Je relève la tête, me mettant à observer sa réaction. Il a l'air sincère. Je connais le rôle de magnat de la presse qu'il entretient. C'est un homme influent, puissant, manipulateur et déterminé. Tout le contraire de moi en fait. Je réfléchis aux échos à son sujet. A qui il est. D'un geste de la tête, je fais quelque chose qu'il ne m'était encore jamais arrivé de vérifier sur aucun homme, quelque chose dont Naomi me féliciterait. Je regarde si il porte une alliance. Son annulaire gauche est vide. Une intense fraîcheur me submerge et je souris doucement.
"J'ai une réunion dans un quart d'heure. Accepteriez-vous de déjeuner avec moi Mademoiselle Viola ?" me demande-t-il soudain.
Je sens mes doigts s'encrer dans ma propre peau à l'idée de déjeuner seul à seul avec cet homme. Je me mets même à le comparer avec Hunter. Il n'aurait jamais prit cette initiative lui. Une pointe de déception parcourt mon corps. Il est comme ça, à l'évidence, un homme qui m'invite seulement dans son propre intérêt.
La propostion -que j'ai accepté- de Ava me revient en tête. Je ne peux pas lui faire faux bond comme ça. Ca ne me ressemble pas. Je tiens ma parole.
"Je me vois contrainte de refuser votre proposition Monsieur Briscoe"
Il m'interrompt.
"Auberon" précise-t-il.
Je n'y fais pas attention. Restons professionelle.
"J'ai... j'ai déjà quelque chose de prévu"
Son regard jusque là brillant s'éteint dans la seconde. La culpabilité me ronge alors qu'il y a quelques minutes, cet homme n'était rien de plus pour moi que mon patron. Qu'est-il maintenant ?
Si il est blessé, il ne le laisse pas paraître longtemps.
"Votre compagnon doit être chanceux alors" lâche-t-il.
"Oh non, il n'en est rien" je précise frustrée. "Je n'ai personne"
J'ai peut-être embrassé à plusieurs reprises Hunter, mais nous ne sommes pas ensemble, c'est juste compliqué et étrange entre nous. Rien de concret, il me force à le penser.
"Excusez mon manque de discrétion. J'espère pouvoir avoir l'opportunité de vous convier à un dîner très prochainement"
Je me lève en lui adressant un de mes plus beaux sourires. Hors de question que je me mette mon patron à dos. Il se lève lui aussi, contourne son bureau et m'accompagne jusqu'à la porte. Quand sa main se pose dans le bas de mon dos, les battements de mon coeur s'affolent et j'en perds le rythme.
"Puisse nous nous revoir sous peu Rain Viola. Votre prochain dossier vous sera parvenu par les soins de Madame Ross. Passez une merveilleuse journée"
"Merci. Bonne journée à vous aussi Monsieur Briscoe"
"Auberon" me corrige-t-il toujours avec cette voix posée et sereine.
Je le regarde quelques secondes et essaye de mettre un nombre sur sa taille. Il frôle les un mètre quatre-vingt sans difficulté. Peut-être plus même.
La minute qui suit, en regagnant l'ascenceur, je me repasse cet entretien déstabilisant. Puis je réalise quelque chose. La mention du compagnon, c'était uniquement pour savoir si j'étais en couple. Naomi m'applaudirais pour ma perspicacité.
FIN DU CHAPITRE VINGT-SIX