De retour chez moi, je me faisais immédiatement réchauffer des restes de l'écrasé de pommes de terre que je m'étais préparée la veille car avec toutes les péripéties qui avaient jalonné ma soirée je n'avais pas encore eu le temps de manger.
Au moment de prendre place à table, je songeai à la drôle de situation que je venais de vivre. Enfin, drôle, ce n'était sans doute pas vraiment le qualificatif le plus approprié mais il n'en demeurait pas moins que de me retrouver dans l'appartement d'Alex Mavri précisément au moment choisi par sa future femme pour lui faire une visite surprise n'était pas banal ni vraiment bienvenu. De toute évidence, ma présence avait gâché la fête et Élodie n'avait d'ailleurs pas manqué de me le faire sentir. En toute franchise, elle pouvait bien m'en vouloir, ça m'était totalement égal. J'avais détesté faire sa rencontre et j'étais à peu près certaine que l'austérité que j'éprouvais envers elle était réciproque. Et, si nous devions nous trouver ne serait-ce qu'un point d'entente, ce serait sans doute sur le fait que nous souhaitions toutes les deux que nos chemins n'aient plus jamais à se croiser.
En revanche, je me sentais très embêtée pour Alex Mavri. Le pauvre allait passer sa soirée ou, pire encore, sa nuit à essuyer les foudres de sa fiancée car, s'il avait espéré que mon départ l'apaiserait quelque peu, il n'en avait rien été. Bien au contraire, elle s'était montrée plus virulente encore.
Avant aujourd'hui, je n'avais encore jamais remarqué à quel point les murs pouvaient être minces et mal insonorisées dans ce bâtiment. Je pouvais tout entendre de la dispute qui battait son plein dans l'appartement voisin. Tout jusqu'au moindre détail. Je ne voulais pas être indiscrète mais la curiosité était trop forte et je ne pus m'empêcher de tendre l'oreille.
Alex Mavri subissait encore les assauts d'Elodie et semblait à court d'arguments pour les repousser. Acculé, il répétait inlassablement sa version des faits sans qu'elle n'y accorde aucun crédit. Je pouvais deviner au son de sa voix l'ampleur de son exaspération.
Sans le vouloir, j'avais décidément mis une belle pagaille dans leur couple qui ne serait sûrement pas sans conséquences. De là à dire que je venais de causer la destruction de leur mariage avant même qu'il n'ait lieu ? Certes, l'affaire était assez mal embarquée et je ne voyais pas comment mon professeur allait bien pouvoir faire pour rétablir la situation mais ce serait exagéré de l'envisager. Cela dit, quand bien même ce serait le cas, je croyais que ça ne me posait pas vraiment de problème. Je trouvais que cet union était un terrible gâchis et voir un homme aussi remarquable qu'Alex Mavri épouser une femme aussi insignifiante qu'Elodie avait le don de me révolter. Il méritait tellement mieux qu'elle. Alors je n'allais certainement pas me culpabiliser pour l'avoir empêché de faire ce que je considérais comme étant ni plus ni moins qu'une grosse erreur.
Je portai de nouveau mon attention sur la lutte acharnée qui se déroulait de l'autre côté de la cloison. Après qu'Elodie ait encore pris grand soin de faire échec à sa défense, Alex Mavri s'apprêtait à lui livrer sa réponse, comme une ultime tentative de restaurer sa confiance envers lui :
« Maelie ne représente absolument rien pour moi. Si tu veux tout savoir, elle ne m'inspire guère autre chose qu'une totale indifférence. Simplement, quand je l'ai vue aux prises avec ce bailleur au code moral bien à lui, je me suis pris de pitié pour elle et j'ai décidé de l'aider. Lui prêter ma salle de bain parce-que la sienne, en travaux, était inutilisable partait de cette seule intention. Je te le jure sur ce que j'ai de plus précieux. Je te le promets sur notre mariage. Tu es la seule qui compte à mes yeux. Je ne pense qu'à toi, je n'aime que toi et je te veux à mes côtés pour le restant de mes jours et ce jusqu'à ce que la mort nous sépare selon l'expression consacrée. »
Ces quelques mots prononcés par Alex Mavri avec une conviction et une sincérité évidente avaient fait figure de véritable claque. Il venait de déconstruire toutes mes illusions en quelques secondes à peine et je m'en trouvai complètement dévastée. Ce que j'avais pu être bête pour m'imaginer ne serait-ce qu'un instant que quelque chose pourrait se passer entre lui et moi. Il ne m'aimait pas. Au contraire, il me méprisait. Il me trouvait même pitoyable.
La vérité, cruelle et implacable, avait éclaté. Elle ne me plaisait pas. Elle m'était même totalement insupportable. Pourtant, je me devais d'en prendre acte et je faisais donc la promesse de prendre mes distances avec Alex Mavri pour désormais m'en tenir à des rapports purement universitaires avec lui, comme cela aurait d'ailleurs toujours dû être le cas.